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Quelques éléments de réflexion concernant l’interdisciplinarité

L’actualité de la réforme du collège amène à nous interroger sur la question de l’interdisciplinarité en tant que modalité pédagogique. Le recours au point de vue de quelques auteurs permet d'en définir les contours, de comprendre l’intérêt d'introduire une part d'interdisciplinarité dans les enseignements et d'imaginer quelques conditions favorables à sa mise en œuvre.

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L’interdisciplinarité est présente dans les programmes depuis de nombreuses années, notamment en SVT (par exemple au lycée au travers des TPE, des Enseignements d’Exploration, de l’enseignement de sciences de 1ère L et ES, de l’enseignement de CBSV de 1ère et terminale STL ou au collège au travers des Thèmes de convergence et des IDD). Pour autant les interrogations qu’elle suscite justifient de s’y pencher en s’appuyant sur le point de vue de quelques auteurs.

Etymologiquement « entre les sciences », l’interdisciplinarité désigne d’après l’Académie Française, ce « qui concerne et met en relation plusieurs disciplines d'enseignement, de recherche, qui leur est commun ». Il s’agit d’une première définition qu’il nous faut préciser et approfondir d’un point de vue pédagogique et didactique.

L’origine des disciplines

En premier lieu, il faut avoir conscience comme le rappelle fréquemment le philosophe Edgar MORIN, que ce n'est qu'au 19ème siècle qu’apparait la structuration disciplinaire des savoirs avec la mise en place des universités modernes. Ainsi, le décret du 17 mars 1808, recréant les agrégations pour l’enseignement secondaire, ne présente que 3 spécialités pour ce concours : les lettres, la grammaire et les sciences. Elles passeront à 7 en 1841 pour être 28 aujourd’hui. Cette segmentation du savoir fait bien entendu suite à l’augmentation considérable des connaissances qui impose une spécialisation par domaines scientifiques. Il est intéressant de noter qu’au cours du 20ème siècle, de nouvelles disciplines sont apparues, au moins au niveau de la recherche scientifique et de l’enseignement universitaire, par exemple la génétique moléculaire.

De même, l’attribution des domaines du savoir scientifique aux disciplines d’enseignement connait des évolutions permanentes, comme c’est le cas pour les concepts de la climatologie, enseignés selon les versions de programmes par les SVT et/ou la géographie et/ou les sciences physique et chimique. L’évolution de la dénomination de notre discipline : de « histoire naturelle » au 18ème siècle, à « sciences naturelles » au début du 20ème siècle en passant par « Sciences et techniques biologiques et géologiques »  pour devenir « sciences de la vie et de la Terre » depuis un peu plus de deux décennies, illustre aussi l’évolution du cadre conceptuel qu’elle recouvre.

Ainsi comme le rappelle Marie-Anne HUGON, « les disciplines sont des constructions sociales ». Elles ont une histoire, naissent, subissent des évolutions, voire même disparaissent. Elles permettent cependant la rédaction de programmes cadres qui garantissent des apprentissages homogènes pour tous les élèves de notre territoire.

Pour le philosophe Yves MICHAUD, l’approche disciplinaire procède généralement d’une analyse par paliers des éléments qui la constituent, du plus simple au plus complexe et plus difficile. Par l’importante formalisation des principes qui la sous-tendent, cette approche conduit à la construction de connaissances bien structurées chez les élèves.

Pourquoi introduire une part d’interdisciplinarité à l’Ecole ?

Si les disciplines jouent un rôle majeur dans la construction et la structuration des concepts, elles se traduisent chez les élèves par ce que Jack LANG, alors ministre de l’éducation nationale, appelle une « mosaïque de savoirs » dont la cohérence échappe à ceux qui peinent à établir, seuls, les liens indispensables entre ses différents éléments. Or le décloisonnement des savoirs est indispensable lorsqu’il s’agit d’appréhender la complexité réelle du monde et de faire face à des problématiques en lien avec cette réalité complexe.

L’interdisciplinarité n’a donc pas pour finalité une dilution des savoirs disciplinaires mais bien de leur (re)donner la cohérence intellectuelle et le sens indispensables pour permettre leur remobilisation ultérieure dans des contextes variés de la vie courante ou professionnelle.

De même, elle n’exclut pas la formalisation des savoirs propres aux disciplines. Comme le précise Yves LENOIR, « il n’y a pas d’interdisciplinarité sans disciplinarité » c'est-à-dire sans contenus formalisés et sans démarches d’apprentissages rattachés à au moins deux disciplines mises en relation. L’approche interdisciplinaire apparait ainsi comme complémentaire de l’approche disciplinaire classique.

De plus, par l’approche plus systémique qu’elle induit, l’interdisciplinarité participe avec efficacité à la construction des compétences générales visées dans le socle commun.

Enfin, on ne peut nier le surplus de motivation que les situations d’interdisciplinarité apportent en s’attachant à répondre à des problématiques qui font échos à celles de la vie concrète et des grands enjeux du monde d’aujourd’hui.

Pluridisciplinarité ? Interdisciplinarité ? Transdisciplinarité ?

Il n’est pas toujours facile de s’accorder sur le sens exact à attribuer à chacun de ces mots à caractère polysémique. En se référant à une typologie initialement proposée en 1972 par Guy MICHAUD et citée par Nicole ALLIEU-MARY, on peut identifier les niveaux de relations entre disciplines suivants :

Terminologie

Signification

Multidisciplinarité

Juxtaposition de disciplines diverses sans rapport apparent

Pluridisciplinarité

Juxtaposition de disciplines plus ou moins voisines dans des domaines de la connaissance

Interdisciplinarité

Interaction entre deux ou plusieurs disciplines pouvant aller de la communication des idées jusqu’à l’intégration des concepts, des terminologies et des méthodes

Dans ce sens, l’interdisciplinarité apparait avec le passage d’une simple juxtaposition des disciplines à leur interaction. Le plus haut degré d’interdisciplinarité correspond alors à l’intégration des concepts et des démarches d’apprentissage.

La transdisciplinarité, également invoquée, peut être comprise comme un ensemble de concepts et méthodes qui dépassent le cadre habituel des disciplines en les « traversant ». On peut l’associer à des domaines tels que le numérique, la maîtrise de la langue ou encore les principes et les valeurs de la République. D’autres définitions sont parfois rencontrées.

Pour préciser les différentes formes d’interdisciplinarité, Nicole REGE-COLET distingue les quatre niveaux suivants :

  • Le niveau de la pluridisciplinarité où les savoirs, bien que rattachés à une thématique commune, sont empilés et rassemblés dans une structure mosaïque.
  • Le niveau de l’interdisciplinarité thématique dans laquelle les disciplines sont mises en relation autour d’un thème commun et qui aboutit à une structuration des savoirs en réseau conceptuel. C’est ce que l’on observe lorsque des savoirs construits indépendamment dans les disciplines, sont mis en relation dans le cadre d’un thème partagé (par exemple mise en relation des concepts de SVT et de physique-chimie en lien avec le thème de l’eau en classe de 5ème).
  • Le niveau de l’interdisciplinarité dite instrumentale dans laquelle plusieurs disciplines convergent pour élaborer une solution à une problématique commune à travers une démarche de résolution de problèmes, généralement sous forme de démarche de projet. Nous pouvons ici reconnaître le cas des TPE.
  • Le niveau de l’interdisciplinarité dite structurale dans lequel les cadres disciplinaires sont modifiés pour constituer un nouveau cadre de référence intégré. On trouve ce niveau d’interdisciplinarité dans l’EIST (Enseignement Intégré de Sciences et Technologie) où un référentiel intégrant les contenus et les démarches d’apprentissage des disciplines scientifiques et technologique (SVT, Physique-Chimie et technologie) est produit pour guider l’enseignement pris en charge par un seul professeur mais coordonné par l’équipe interdisciplinaire.

Le choix de se situer sur l’un ou l’autre de ces niveaux dépend bien entendu des objectifs pédagogiques fixés par le projet et des conditions matérielles dans lesquelles il est prévu qu’il se déroule.

Quelques conditions pour favoriser l’interdisciplinarité

L’interdisciplinarité ne se décrète pas mais se construit à partir d’un projet commun. Il ne peut y avoir d’interdisciplinarité sans une collaboration étroite entre les acteurs.

Selon Nicole REGE-COLET, un projet interdisciplinaire doit s’attacher à deux aspects :

  • l’organisation des savoirs (et donc leur intégration) ;
  • l’organisation du travail (et donc les modalités de collaboration).

Par l’organisation des savoirs on entend notamment :

  • le choix et la définition des contenus enseignés dans le cadre du projet ;
  • le choix des contextes d’apprentissage et des activités proposées aux élèves ;
  • la formulation des objectifs pédagogiques ;
  • les modalités d’évaluation au sein du projet…

L’organisation du travail comprend :

  • les modalités de collaboration entre enseignants c'est-à-dire la façon dont l’équipe de professeurs responsable du projet va s’organiser pour préparer la progression, la conduite de l’enseignement et l’évaluation des apprentissages ;
  • les modalités de collaboration entre élèves c’est-à-dire la façon dont les élèves sont mis en activités les uns par rapport aux autres : travail de groupe, travail collaboratif…

Cette grille de lecture, bien que pensée par son auteure dans un cadre universitaire, se révèle également pertinente pour l’enseignement secondaire. Elle peut être un guide efficace pour l’élaboration du cahier des charges d’un projet interdisciplinaire souhaité par une équipe volontaire.

Il faut néanmoins rester vigilant sur l’équilibre de ces deux aspects car, toujours selon Nicole REGE-COLET, n’envisager principalement que les aspects organisationnels conduit davantage à se limiter à de la pluridisciplinarité et n’envisager principalement que la question de l’organisation des savoirs amène à une nouvelle forme de « disciplinarité ». Ainsi une entrée thématique bien définie par des objectifs précis et formalisés ne garantit pas une interdisciplinarité vraie si une collaboration réelle entre enseignants n’a pas été à l’origine de la conception intégrale du projet.

A l’opposé, plus l’intégration des contenus et des démarches d’apprentissage est poussée grâce à une collaboration efficace entre enseignants et plus chacun d’eux est à même de conduire à lui seul l’enseignement face à ses élèves. C’est ainsi le cas en EIST où chaque enseignant assure à lui seul la construction des concepts et des compétences de sciences et technologie, intégrés dans un nouveau référentiel.

Un exemple de dispositif interdisciplinaire en sciences et technologie : l’EIST (Enseignement Intégré de Sciences et Technologie)

L’EIST est un dispositif mis en œuvre à titre expérimental à partir de 2008 dans plus d’une trentaine de collèges. Initié conjointement par  l’Académie des sciences, l’Académie des technologies et le ministère de l’éducation nationale, il s’inscrit dans le prolongement du dispositif « La main à la pâte » à l’école primaire. Il prévoit la constitution de trois groupes d’élèves à partir de deux classes, chaque groupe étant pris en charge pour l’enseignement de sciences et technologie par un seul professeur de l’une des trois disciplines (physique-chimie, SVT, ou technologie). En sixième, chaque groupe d’élèves reçoit 3 h 30 d’enseignement d’EIST par semaine, soit une demi-heure de plus que dans l’enseignement traditionnel dans lequel il n’y a pas de physique-chimie à ce niveau. Par ailleurs, une heure supplémentaire hebdomadaire est inscrite au service des enseignants concernés pour assurer le travail de concertation nécessaire à la préparation des cours. Un regroupement des parties des programmes de sciences et technologie de 6ème et 5ème au sein de thèmes, permet de faciliter la construction de progressions tout à la fois inédites et intégrées tout en garantissant une formation équilibrée, respectant les instructions officielles et donc l’équité entre élèves : « De quoi est fait le monde ? Matière et matériaux » en classe de 6ème et « Comment fonctionne le monde ? Energie et énergies » en classe de 5ème. Enfin la démarche d’investigation partagée par les programmes des trois disciplines, est la modalité pédagogique majeure de cet enseignement.

Si ce dispositif « n’a jamais eu vocation à évoluer vers une pratique généralisée » comme cela est précisé dans le rapport de l’IGEN de mai 2009, il représente un modèle (au sens modalité possible) d’intégration réussie des disciplines scientifiques et technologique au collège. Il peut en ce sens inspirer un projet d’interdisciplinarité quel qu’en soit sa durée.

« L’EIST met en évidence l’importance de facteurs favorables à la réussite des élèves (pédagogie active, harmonisation des vocabulaires et des pratiques, plages horaires longues, scénarisation, etc.) qui peuvent être recherchés dans le cadre d’autres dispositifs pédagogiques. » Norbert PERROT, Gilbert PIETRYK, Dominique ROJAT. Rapport IGEN de mai 2009.

Bibliographie

Nicole ALLIEU-MARY. L’interdisciplinarité pédagogique. INRP, février 2010

Jacques HAMEL. La pédagogie comme pivot de l’interdisciplinarité. Revue internationale d’éducation de Sèvres, septembre 2002

Marie-Anne HUGON. Travailler en interdisciplinarité au collège et au lycée : obstacles et aides. Poitiers, février 2002

Yves LENOIR. Quelle interdisciplinarité à l’Ecole ? Les cahiers pédagogiques, juillet 2015

Edgar MORIN. Sur l’interdisciplinarité. Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études transdisciplinaires n°2, juin 1994

Nicole REGE COLET. Enseignement universitaire et interdisciplinarité. Un cadre pour analyser, agir et évaluer. Bruxelles, De Boeck, 2002

Norbert PERROT, Gilbert PIETRYK, Dominique ROJAT. Rapport IGEN, mai 2009

Guide pratique. Un enseignement intégré de science et technologie, un choix possible au collège (6ème  et 5ème). Académie des Sciences

Pour aller plus loin 

Place des disciplines dans l’interdisciplinarité :
L’interdisciplinarité et les concepts de « transposition didactique » et d’« îlot interdisciplinaire de rationalité »,Christine Vergnolle Mainar

Exemple de procédure pour mettre en œuvre un projet disciplinaire dans l’esprit de la démarche d’investigation :
Un modèle pour un travail interdisciplinaire,Gérard Fourez, Philippe Marthy et Véronique Englebert Lecomte ; Aster 1993 n°17 ; INRP

Et bien d’autres références dans la médiathèque.

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