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L’écriture autobiographique au vide grenier

Sans titre Sylvaine Jaoui, professeure de lettres au collège et au lycée Yabné (13e), formatrice, auteure de romans à succès pour la jeunesse (dont la série Ma vie selon Moi), nous fait part de la stratégie qu’elle a choisi d’adopter dans un atelier d’écriture autobiographique : passer par la fiction et les objets.

De mon expérience d’écrivain à ma pratique d’enseignante : l’atelier d’écriture autobiographique ou comment amener nos élèves à une écriture de soi sans les obliger à braquer sur leur copie la lumière crue et intimidante de la vérité.

Si l’on demande à nos élèves (et même à la plupart des adultes) : quel est le genre littéraire dans lequel l’écrivain révèle le plus de choses sur sa propre vie ? La réponse a de grandes chances d’être : l’autobiographie.

Les plus savants nous expliqueront d’un air docte le pacte autobiographique de Lejeune et la sacro-sainte vérité qui en résulte. La messe sera dite !

Pourtant, il me semble que les choses sont plus complexes. Pour avoir tenté tour à tour, l’aventure de l’autobiographie et du roman, je peux affirmer que la fiction m’a amenée à un dévoilement de l’intime bien plus grand que l’autobiographie.  

Etre en planque derrière chacun de mes personnages a libéré ma parole sur ma propre vie. Devenant un « auteur à personnalités multiples », j’ai pu révéler une certaine vérité de moi-même par bribes, sans jamais apparaître en tant que personne. J’ai fini par fabriquer, à mon insu, un puzzle assez ressemblant tout en affirmant  « je ne parle pas de moi, c’est une fiction ».

Le « mentir vrai » du roman a donc laissé échapper des aspects bruts de ma personnalité, là où l’exigence de la lumière crue de l’autobiographie m’a obligée à me masquer. 

 

Petite confidence personnelle illustrant mon propos :

Il y a quelques années, une jeune étudiante de Master 2 des métiers du livre, m’a demandé un rendez-vous parce qu’elle travaillait sur un corpus constitué de mes romans. Je l’ai reçue assez confiante, dans la posture (bien trop) assurée de l’écrivain, du professeur et de la mère bienveillante. On devrait toujours se méfier des postures !!!

Le choc a été grand, quand listant mes thèmes récurrents (mais brouillés par les différents scénarii de mes romans), elle a pointé du doigt, ce que j’avais mis tant de temps à élaborer lors de ma psychanalyse.

J’ai réalisé alors qu’en fictionnant l’histoire d’adolescents - pourtant très éloignés de moi en âge et en parcours de vie -  j’avais passé mon temps à me dévoiler. Me dévoiler avec assez d’indécence, pour qu’une étrangère de l’âge de ma fille, décrypte mes névroses...

Forte de cette expérience-là, j’ai décidé de choisir la médiation de la fiction pour faire écrire mes élèves sur eux-mêmes. J’ai alors eu la sensation très nette de les emmener plus loin. Plus loin de l’image « trafiquée parce que reconstruite » de l’écriture autobiographique. Plus près de l’essentiel qui les constitue.

Toutefois, lorsqu’il m’a fallu aborder spécifiquement l’autobiographie dans mes classes (pour des raisons de programme) et travailler cette approche frontale de l’écriture de soi, il m’a semblé intéressant de concevoir des ateliers mettant en œuvre une pédagogie du détour.

J’entends par là des ateliers qui, certes, amèneraient à fondre en une seule identité (Je) l’auteur, le narrateur et le personnage mais qui, surtout, « court-circuiteraient » la construction fabriquée, linéaire et lisse de soi-même.

Je vous en propose un qui a bien fonctionné dans mes classes.  Il permet de passer de la description d’un objet du quotidien, à la narration d’une histoire vivante du possesseur/scripteur. L’écriture de soi arrive donc au détour de la phrase, l’air de rien*

* En milieu de soin où mes ateliers d’écriture se font en présence d’un pédopsychiatre et ont une visée thérapeutique (faire émerger la parole de l’enfant), cette pédagogie du détour a prouvé son efficacité.

 

Le vide grenier 

Cycle 4 – 3e : Se chercher, se construire – se raconter, se représenter

Compétences :

-découvrir différentes formes de l’écriture de soi et de l’autoportrait à travers des objets

-comprendre l’intérêt de passer par des objets dont on se sépare, pour se dire et se raconter

-engager un débat sur la place et le rôle des objets dans nos vies et nos sociétés

-varier les types de textes en passant de l’information à la description, puis à la narration

-s’engager dans un processus d’écriture qui fait alterner oral et écrit, travail individuel et collectif

-entrer dans un processus d’écriture à partir d’une consigne générale, puis de choix personnalisés

- utiliser son téléphone portable dans un usage pédagogique (pratique du BYOD) pour présenter une image ou une photographie de l’objet choisi.

 

Consigne :

1-    Faire la liste de cinq choses parmi ses affaires dont on ne se sert plus et que l’on voudrait mettre en vente dans un vide grenier (la version numérique du Bon Coin plaît davantage aux élèves ! pourquoi pas…)

2-    En choisir un seul parmi les cinq et rédiger sa fiche de vente : sa taille, sa matière, sa couleur, son usage, son prix lors de l’achat, son moyen de paiement (espèce, chèque, CB des parents), son lieu d’achat, sa date d’achat, le prix qu’on veut en tirer…

Cette partie technique permet à l’élève de commencer à écrire sur l’objet de façon factuelle, mais on voit bien que certaines rubriques (lieu, date, moyen de paiement) l’obligent déjà à entrer dans des considérations plus personnelles de son existence.

Temps d’écriture en solo : On fixe un temps raisonnable en fonction du niveau de classe pour ce temps d’écriture et les élèves travaillent seuls et en silence.

 J’ai pour habitude de travailler avec un minuteur à œuf. Cela permet de matérialiser l’élaboration de la pensée comme un temps de cuisson J mais surtout de situer le temps en dehors de ma volonté propre (je ne suis pas la maîtresse du temps à qui l’on demande cinq minutes supplémentaires. C’est mon minuteur à œuf le chef !)

Mise en commun

 3-    On propose ensuite à la classe un temps de mise en commun : une sorte de vide grenier virtuel collectif dans lequel les élèves vont proposer leur objet.

 C’est un moment très festif pour la classe que cette exposition « des vieilles choses à vendre ». L’occasion aussi de mesurer le rythme délirant des achats dans notre société de consommation. Comment une chose qui a coûté tant d’argent, devient-elle une chose inerte et désinvestie, en si peu de temps ?

 Retour à un travail personnel

1- Le travail d’écriture sur cet objet va continuer en solo. On va proposer de nouvelles rubriques à nos élèves. L’entrée par « rubrique », parce qu’elle ne les oblige pas à rédiger, focalise leur attention sur les informations à la manière d’une enquête*.

*Que mes collègues qui tiennent tant à la narration se rassurent, le descriptif va peu à peu se fondre dans une histoire de vie. Rappelons-nous en toute humilité la collecte d’informations administratives de Marguerite Yourcenar pour écrire le début de Souvenirs pieux.

Ces rubriques vont alors devenir plus circonstancielles, obligeant les élèves à contextualiser l’objet, à le (re)placer dans leur univers, à créer du lien avec leur propre vie.

 Rubriques possibles :

1-    Comment êtes-vous allé-e jusqu’au lieu d’achat ?

2-    Quelle était votre humeur ce jour-là ?

3-    Y avait-il du monde dans le magasin ?

4-    Comment était physiquement la vendeuse ou le vendeur ?

5-    Vous souvenez-vous d’un événement lu dans le journal ou vu à la télé ce jour-là ?

6-    Vous souvenez-vous d’un événement survenu dans votre famille ce jour-là ?

7-    Qui avez-vous prévenu de cet achat ?

8-    Quel sentiment avez-vous ressenti lorsque vous l’avez eu entre les mains ?

9-    Est-ce que quelque chose a pu vous agacer lors de cette journée ?

10- Pourquoi voulez-vous vous débarrasser de cet objet aujourd’hui ?

 On peut augmenter la liste des rubriques en mixant la petite histoire et la grande Histoire à la façon de Perec dans Je me souviens.

 2- Il est important ensuite de demander aux élèves de formuler cinq rubriques personnelles et d’y répondre. Cela va leur permettre de s’approprier leur histoire, d’y ajouter des détails personnels et donc d’entrer vraiment dans l’élaboration de la narration.  

 Mise en commun :

 La phase de mise en commun à l’oral est intéressante parce qu’elle permet aux élèves qui ont des difficultés rédactionnelles, de participer à l’atelier sur l’autobiographie sans crainte du « ratage », et à l’ensemble de la classe, de partager simplement des choses de leur vie quotidienne.

 Suites possibles à cet atelier :

 L’atelier peut évidemment s’arrêter là. On aura alors travaillé avec les élèves des notions importantes : la mémoire, la difficulté de sa reconstitution, le mélange d’éléments factuels objectifs et de ressentis subjectifs.

 On peut aussi directement passer à l’étape suivante : utiliser les informations pour écrire un récit qui s’apparente à une « tranche de vie ». Un vrai texte autobiographique qui soulèvera certaines questions de l’énonciation et qui engagera dans une histoire à dimension personnelle.

 On peut aussi choisir de travailler en deux temps : faire l’atelier une première fois avec un objet sans la partie rédactionnelle, puis recommencer l’exercice avec un second objet en s’attelant cette fois-ci à l’écriture d’une page autobiographique.

L’auteure :

Sylvaine Jaoui forme les enseignants aux actions incitatives à la lecture. Elle est l’auteure de romans, de pièces de théâtre et de documentaires pour la jeunesse. Ses livres ont obtenu de nombreux prix et sa série Ma vie selon Moi connaît un immense succès.

Sa dernière série, en collaboration avec Annelore Parot et des pédopsychiatres (Rue des copains aux éditions Albin Michel Jeunesse), permet à un très jeune public d’aborder des thèmes majeurs : « J’ai pas envie d’aller à l’école », « Je suis accro aux écrans »…

 L’article est accompagné d’une suggestion de lecture : annexe 1

Vide-Greniers

Photographies Philippe Gabel

Textes

Octave Debary, Howard S. Becker

CREAPHISEDITION