Cette proposition pédagogique s’intègre dans la mise en œuvre du thème introductif du programme d’histoire de terminale ES, L et S : Regards historiques sur le monde actuel. Thème 1. Le rapport des sociétés à leur passé. Les mémoires : lecture historique. L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France.
À partir de l’analyse de deux reportages du journal télévisé du 16 juillet 1992 sur la commémoration du 50e anniversaire de la Rafle du Vel' d'Hiv’, il s’agit de comprendre comment l’émergence d’une « mémoire de la Shoah » dans le débat public remet en cause l'attitude persistante des autorités de l’État qui considèrent que la République française a été résistante aux côtés du général de Gaulle à Londres et Alger, et, qu’à ce titre, elle ne peut pas être comptable des crimes de Vichy.
Samuel Coulon est professeur au lycée Sophie-Germain (Paris IVe arr.), interlocuteur académique pour le numérique (IAN) auprès de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE), membre et coordonnateur du GIPTIC et chargé de projets pour Canopé d'Île-de-France.
Place dans les programmes
Objectifs en termes de contenu
Objectifs méthodologiques
Organisation de la séance de travail
Durée : 1h00
À partir d'une grille d'analyse fournie par le professeur, les élèves sont invités à réaliser un découpage technique et narratif comparatif sur deux reportages télévisés diffusés le 16 juillet 1992 au journal de 20h00 sur Antenne 2 et au journal du soir France 3.
Trois situations de travail peuvent être envisagées pour la réalisation de cette étape :
Dans tous les cas de figure, le vocabulaire technique (séquence, plan, plan rapproché, plan moyen …) doit être préalablement abordé en cours.
Pour gagner du temps, il est possible, à titre d’exemple, de fournir une grille d’analyse complétée par le professeur pour le 1er reportage ; à charge pour les élèves de compléter la grille du second.
Le 1er reportage a été réalisé par une équipe de journalistes de France 2 parmi lesquels figure Bruno Roger-Petit, devenu depuis le 1er septembre 2017 conseiller et porte-parole de la présidence de la République. Le reportage est accessible dans INA Jalons via le portail Éduthèque (inscription gratuite), ce qui permet de bénéficier d'un chapitrage plan par plan, d'une transcription du documentaire, d'une analyse proposée par Carole Robert et de l'absence de publicité.
Le 2e reportage est hébergé sur le site de l'INA. Pour un usage en classe, il est impératif d'installer un bloqueur de publicité comme Ublock dans son navigateur.
"La France face à sa mémoire" | "La mémoire et la honte" |
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Prolongement possible de cette étape de travail avec l'analyse d'un 3e reportage : 17 juillet 1992 - France Régions 3 (12h45)
Depuis 1970, des associations juives commémorent la Rafle du Vel’ d’Hiv’ (Vélodrome d'Hiver) pendant laquelle près de 13 000 Juifs dont 4 000 enfants furent arrêtés par la police française les 16 et 17 juillet 1942. Lors de cette rafle, 8 000 Juifs sont parqués pendant plusieurs jours dans des conditions sanitaires épouvantables au Vélodrome d'Hiver, rue Nélaton dans le 15e arrondissement, avant d’être transférés dans les camps de Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande puis déportés vers Auschwitz. En juin 1992, à l’approche des cérémonies de commémoration du 50e anniversaire, une polémique éclate autour de la présence du chef de l’État.
Si jusqu’à cette période, la « mémoire » des déportés juifs se constitue en marge de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, les travaux des historiens ou des cinéastes contribuent dans les années 1970-1980, à mieux mettre en évidence le rôle de « l’État français » dans la déportation des Juifs de France. L’action conjuguée d'associations de résistants et de déportés ou de leurs descendants - en particulier de Serge Klarsfeld - contribue à engager de nouvelles procédures judiciaires à l'encontre des responsables du génocide. En effet, la loi de 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité autorise la poursuite des fonctionnaires de Vichy plusieurs dizaines d’années après la fin de la Seconde Guerre mondiale (instruction ouverte contre Jean Leguay en 1979, inculpation de Maurice Papon en 1983 et de René Bousquet en 1987). Le milicien Paul Touvier, arrêté en 1989 après une longue cavale, bénéficie néanmoins d’un non-lieu de la chambre d’accusation de Paris en avril 1992, suscitant une grande émotion dans l'opinion publique. Il sera condamné en cassation à la réclusion criminelle à perpétuité.
Sous l’impulsion de Serge Klarsfeld le « Comité Vel' d'Hiv' 42 » composé de citoyens français nés avant ou pendant la guerre, lance un appel au Président de la République afin que soit reconnu la responsabilité de "l'État français de Vichy (en matière) de persécutions et de crimes commis contre les Juifs de France". Le 17 juin, cet appel est publié dans le journal Le Monde et signé par plus de 200 intellectuels et anciens résistants. Le comité entreprend une action auprès des parlementaires pour l’adoption d’une loi faisant du 16 juillet une journée nationale de commémoration.
Dans ce contexte, le 10 juillet, François Mitterrand annonce qu'il participera à la cérémonie de commémoration du 16 juillet, en déposant une gerbe à l'emplacement de l'ancien Vel' d'Hiv'. Pourtant, lors de son entretien télévisé du 14 juillet, il réaffirme la position officielle de la République française depuis 1944 en déclarant : "Ne demandez pas des comptes à la République, elle a fait ce qu’elle devait... L’État français, ce n’était pas la République".
Pour la première fois, un président de la République assiste donc, au milieu d'autres personnalités, à la cérémonie du Vel’ d’Hiv. Il est hué par une partie de l'assistance aux cris de "Mitterrand à Vichy" faisant ainsi référence au passé de François Mitterrand. Ce dernier fut en effet au service de l’État français jusqu’en 1943 et a entretenu, bien après guerre, des amitiés avec René Bousquet, secrétaire général de la police du régime de Vichy et organisateur de la Rafle. Ces faits seront rapportés au grand public en 1994 dans l'ouvrage de Pierre Péant : Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947.
En 1992, François Mitterrand dépose sa gerbe sans prononcer un seul mot.
Mais la polémique reprend de plus belle lorsque la presse révèle que François Mitterrand faisait déjà déposer, depuis 1987, une gerbe de fleurs sur la tombe du maréchal Pétain chaque 11 novembre, date de l’armistice de 1918. Le 11 novembre 1992, le Président décide de déposer une gerbe sur la tombe de Pétain en même temps que sur les tombes de sept autres maréchaux. Serge Klarsfeld et ses amis se rendent alors à l’île d’Yeu pour éviter que la gerbe ne soit déposée. En fin de journée, juste après leur départ avec le dernier bateau pour le continent, le préfet de Vendée vient fleurir la tombe au nom du chef de l’État.
Suite à l’indignation d’une partie de l’opinion provoquée par ce comportement, le Président de la République François Mitterrand fait instituer en 1993, une Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'État français (1940-1944)". Cette commémoration est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver. En 1994, Mitterrand assiste à cette cérémonie devenue désormais nationale.
En 1995, lors de la cérémonie de commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv, le nouveau président, Jacques Chirac rompt avec la position de ses prédécesseurs en reconnaissant la responsabilité de l’État français. Il déclare la « folie criminelle de l’occupant (qui) a été, chacun le sait, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ».
Cette séance de travail permet de s'interroger sur la réalisation d'un reportage TV. Si le reportage s’appuie sur une réalité perçue, c’est aussi une narration. Le texte associé au montage donne au reportage une ligne directrice choisie par le réalisateur. Sa réalisation n’est finalement pas très éloignée d’une fiction. Il s’agit toujours de contextualiser, de présenter des personnages, bref, de raconter un événement comme on raconte une histoire.
Partir de la polémique suscitée par la présence du Président de la République aux commémorations du 16 juillet 1992 permet par ailleurs de mieux comprendre le basculement opéré par la Mémoire officielle de la France avec le discours de Jacques Chirac en 1995. Tous ses successeurs adopteront la même position. Vingt-cinq ans après la polémique du 50e anniversaire, le président Emmanuel Macron réaffirme la responsabilité de la France le 16 juillet 2017 : «Oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile (...) ».
Le sujet est désormais bien connu et les publications sur la question sont nombreuses. Citons trois références relativement récentes :