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1992. Le Président de la République au Vel' d'Hiv', Terminale S/ES/L

edutheque logo Cette proposition pédagogique s’intègre dans la mise en œuvre du thème introductif du programme d’histoire de terminale ES, L et S : Regards historiques sur le monde actuel. Thème 1. Le rapport des sociétés à leur passé. Les mémoires : lecture historique. L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France.

À partir de l’analyse de deux reportages du journal télévisé du 16 juillet 1992 sur la commémoration du 50e anniversaire de la Rafle du Vel' d'Hiv’, il s’agit de comprendre comment l’émergence d’une « mémoire de la Shoah » dans le débat public remet en cause l'attitude persistante des autorités de l’État qui considèrent que la République française a été résistante aux côtés du général de Gaulle à Londres et Alger, et, qu’à ce titre, elle ne peut pas être comptable des crimes de Vichy.

Samuel Coulon est professeur au lycée Sophie-Germain (Paris IVe arr.), interlocuteur académique pour le numérique (IAN) auprès de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE), membre et coordonnateur du GIPTIC et chargé de projets pour Canopé d'Île-de-France.

Objectifs

Place dans les programmes

  • Niveau : Terminales L, ES, S
  • Regards historiques sur le monde actuel. Thème 1. Le rapport des sociétés à leur passé. Les mémoires : lecture historique. L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
  • Pour les élèves de Tles ES et L : lien possible avec le thème 2. Idéologies et opinions en Europe de la fin du XIXe siècle à nos jours. Médias et opinion publique
  • Éducation aux médias et à l'information (éduscol)

Objectifs en termes de contenu

  • Montrer que la polémique suscitée par la présence de François Mitterrand lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv' met en lumière le refus des autorités françaises d’admettre la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France. Elle est  caractéristique de ce que Henry Rousso définit en 1987 - soit 5 ans avant cette affaire - comme le « syndrome de Vichy », c'est-à-dire « l'ensemble des manifestations qui révèlent les conflits internes provoqués par le souvenir du régime de Vichy dans la vie publique et sociale ».
  • Montrer que le reportage TV est le produit d’un travail de scénarisation (recréation ?) d’une réalité perçue par son auteur et qu’il relève de choix personnels, journalistiques ou/et d'une ligne éditoriale.
  • Notions : Crime contre l'Humanité - Histoire - Mémoire(s) - Shoah - Mémoire officielle - État français
  • Problématique. En quoi la polémique qui éclate autour de la commémoration du 50e anniversaire de la Rafle du Vel’ d'Hiv’ contribue-t-elle à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Objectifs méthodologiques

  • Initier les élèves à la sémiologie des médias, en particulier du JT dont les reportages au format très court (2 minutes) doivent fournir au téléspectateur, dans un minimum de temps l'essentiel de l'information sur un sujet donné.
  • Connaître quelques éléments du vocabulaire technique de réalisation et du montage : plan, mouvements de caméra, voix off …

Organisation de la séance de travail

Durée : 1h00

Articulation de la démarche - Vel d'Hiv

Description

1. Description et analyse de deux reportages du JT d'Antenne 2 et France 3

tv À partir d'une grille d'analyse fournie par le professeur, les élèves sont invités à réaliser un découpage technique et narratif comparatif sur deux reportages télévisés diffusés le 16 juillet 1992 au journal de 20h00 sur Antenne 2 et au journal du soir France 3.

Trois situations de travail peuvent être envisagées pour la réalisation de cette étape :

  • un travail en amont réalisé par les élèves à la maison
  • un travail en autonomie en salle informatique (à condition que l'effectif de la classe le permette et que les élèves disposent d'écouteurs personnels)
  • un travail en classe entière réalisé à l'aide d'un vidéo-projecteur par le professeur (ou un élève) à partir des observations formulées par les élèves de la classe.

Dans tous les cas de figure, le vocabulaire technique (séquence, plan, plan rapproché, plan moyen …) doit être préalablement abordé en cours.

Pour gagner du temps, il est possible, à titre d’exemple, de fournir une grille d’analyse complétée par le professeur pour le 1er reportage ; à charge pour les élèves de compléter la grille du second.

Le 1er reportage a été réalisé par une équipe de journalistes de France 2 parmi lesquels figure Bruno Roger-Petit, devenu depuis le 1er septembre 2017 conseiller et porte-parole de la présidence de la République. Le reportage est accessible dans INA Jalons via le portail Éduthèque (inscription gratuite), ce qui permet de bénéficier d'un chapitrage plan par plan, d'une transcription du documentaire, d'une analyse proposée par Carole Robert et de l'absence de publicité. 

Le 2e reportage est hébergé sur le site de l'INA. Pour un usage en classe, il est impératif d'installer un bloqueur de publicité comme Ublock dans son navigateur.

 

"La France face à sa mémoire" "La mémoire et la honte"

 

2. Mise en commun des observations formulées par les élèves

echanges

JT1992. Antenne 2 JT1992. France3b

 Grille d'analyse n°1 

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 Grille d'analyse n°2

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Bilan. 1er reportage

  • Mise en exergue du geste du Président. Le commentaire interprète le geste de F. Mitterrand comme une volonté de « reconnaître les crimes de Vichy »
  • Les manifestants hostiles à François Mitterrand sont « minoritaires » et interviennent après le dépôt de la gerbe par le Président
  • Plan très long pour l’intervention de Robert Badinter (près d’une minute, ce qui est rare pour ce type de reportage)
  • Une fin moralisatrice

Bilan. 2e reportage

  • Le Président est fortement conspué par la foule dès son arrivée.
  • Les manifestants hostiles à François Mitterrand composent la moitié de l’assistance
  • Deux interventions : R. Badinter qui exprime sa colère (34 s), et une femme rescapée de la rafle (15 s)
  • Un reportage qui se termine sur le dépôt de la gerbe et sur les chiffres des victimes du drame du Vel’ d’Hiv’.

Prolongement possible de cette étape de travail avec l'analyse d'un 3e reportage : 17 juillet 1992 - France Régions 3 (12h45)

 

3. Mise en perspective historique

pROFESSEUR 2Depuis 1970, des associations juives commémorent la Rafle du Vel’ d’Hiv’ (Vélodrome d'Hiver) pendant laquelle près de 13 000 Juifs dont 4 000 enfants furent arrêtés par la police française les 16 et 17 juillet 1942. Lors de cette rafle, 8 000 Juifs sont parqués pendant plusieurs jours dans des conditions sanitaires épouvantables au Vélodrome d'Hiver, rue Nélaton dans le 15e arrondissement, avant d’être transférés dans les camps de Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande puis déportés vers Auschwitz.  En juin 1992, à l’approche des cérémonies de commémoration du 50e anniversaire, une polémique éclate autour de la présence du chef de l’État.

Si jusqu’à cette période, la « mémoire » des déportés juifs se constitue en marge de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, les travaux des historiens ou des cinéastes contribuent dans les années 1970-1980, à mieux mettre en évidence le rôle de « l’État français » dans la déportation des Juifs de France. L’action conjuguée d'associations de résistants et de déportés ou de leurs descendants - en particulier de Serge Klarsfeld - contribue à engager de nouvelles procédures judiciaires à l'encontre des responsables du génocide. En effet, la loi de 1964 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité autorise la poursuite des fonctionnaires de Vichy plusieurs dizaines d’années après la fin de la Seconde Guerre mondiale (instruction ouverte contre Jean Leguay en 1979, inculpation de Maurice Papon en 1983 et de René Bousquet en 1987). Le milicien Paul Touvier, arrêté en 1989 après une longue cavale, bénéficie néanmoins d’un non-lieu de la chambre d’accusation de Paris en avril 1992, suscitant une grande émotion dans l'opinion publique. Il sera condamné en cassation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Sous l’impulsion de Serge Klarsfeld le « Comité Vel' d'Hiv' 42 » composé de citoyens français nés avant ou pendant la guerre, lance un appel au Président de la République afin que soit reconnu la responsabilité de "l'État français de Vichy (en matière) de persécutions et de crimes commis contre les Juifs de France". Le 17 juin, cet appel est publié dans le journal Le Monde et signé par plus de 200 intellectuels et anciens résistants. Le comité entreprend une action auprès des parlementaires pour l’adoption d’une loi faisant du 16 juillet une journée nationale de commémoration.

Dans ce contexte, le 10 juillet, François Mitterrand annonce qu'il participera à la cérémonie de commémoration du 16 juillet, en déposant une gerbe à l'emplacement de l'ancien Vel' d'Hiv'. Pourtant, lors de son entretien télévisé du 14 juillet, il réaffirme la position officielle de la République française depuis 1944 en déclarant : "Ne demandez pas des comptes à la République, elle a fait ce qu’elle devait... L’État français, ce n’était pas la République".

Pour la première fois, un président de la République assiste donc, au milieu d'autres personnalités, à la cérémonie du Vel’ d’Hiv. Il est hué par une  partie de l'assistance aux cris de "Mitterrand à Vichy" faisant ainsi référence au passé de François Mitterrand. Ce dernier fut en effet au service de l’État français jusqu’en 1943 et a entretenu, bien après guerre, des amitiés avec René Bousquet, secrétaire général de la police du régime de Vichy et organisateur de la Rafle. Ces faits seront rapportés au grand public en 1994 dans l'ouvrage de Pierre Péant : Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947.

En 1992, François Mitterrand dépose sa gerbe sans prononcer un seul mot.

 

4. Reprise de la polémique et reconnaissance officielle

pROFESSEURMais la polémique reprend de plus belle lorsque la presse révèle que François Mitterrand faisait déjà déposer, depuis 1987, une gerbe de fleurs sur la tombe du maréchal Pétain chaque 11 novembre, date de l’armistice de 1918. Le 11 novembre 1992, le Président décide de déposer une gerbe sur la tombe de Pétain en même temps que sur les tombes de sept autres maréchaux. Serge Klarsfeld et ses amis se rendent alors à l’île d’Yeu pour éviter que la gerbe ne soit déposée. En fin de journée, juste après leur départ avec le dernier bateau pour le continent, le préfet de Vendée vient fleurir la tombe au nom du chef de l’État.

Suite à l’indignation d’une partie de l’opinion provoquée par ce comportement, le Président de la République François Mitterrand fait instituer en 1993, une Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'État français (1940-1944)". Cette commémoration est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver. En 1994, Mitterrand assiste à cette cérémonie devenue désormais nationale.

En 1995, lors de la cérémonie de commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv, le nouveau président, Jacques Chirac rompt avec la position de ses prédécesseurs en reconnaissant la responsabilité de l’État français. Il déclare la « folie criminelle de l’occupant (qui) a été, chacun le sait, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ».

 

5. Intérêt de la séance

Cette séance de travail permet de s'interroger sur la réalisation d'un reportage TV. Si le reportage s’appuie sur une réalité perçue, c’est aussi une narration. Le texte associé au montage donne au reportage une ligne directrice choisie par le réalisateur. Sa réalisation n’est finalement  pas très éloignée d’une fiction. Il s’agit toujours de contextualiser, de présenter des personnages, bref, de  raconter un événement comme on raconte une histoire.

Partir de la polémique suscitée par la présence du Président de la République aux commémorations du 16 juillet 1992 permet par ailleurs de mieux comprendre le basculement opéré par la Mémoire officielle de  la France avec le discours de Jacques Chirac en 1995. Tous ses successeurs  adopteront la même position. Vingt-cinq ans après la polémique du 50e anniversaire, le président Emmanuel Macron réaffirme la responsabilité de la France le 16 juillet 2017 :  «Oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13 152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile (...) ».

 

6. Bibliographie

Le sujet est désormais bien connu et les publications sur la question sont nombreuses. Citons trois références relativement récentes :

  • Henry Rousso, Face au Passé. Essais sur le mémoire contemporaine, Paris, Belin 2016
  • Anna Senik, L’histoire mouvementée de la reconnaissance officielle des crimes de Vichy contre les Juifs. Autour de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel’ d’ Hiv’, Paris, l'Harmattan, 2013. Un ouvrage qui est aussi un témoignage, puisque Anna Senik fut membre du "Comité Vel’ d’ Hiv’ 42".
  • Olivier Wieviorka, La Mémoire désunie, Paris, Seuil, 2010