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Mise au point : Eléments de réflexion sur la géopolitique russe

Eléments de réflexion sur la géopolitique russe - Refonder la puissance après la chute

Rappel du programme

Axe 1 – Essor et déclin des puissances : un regard historique
Jalons : Une puissance qui se reconstruit après l’éclatement d’un empire : La Russie depuis 1991

Prog russie

 

 

Les permanences d’une géopolitique impériale russe par-delà les âges

En 2015, le fondateur de la chaîne de TV russe, Raketa, explique : «Être russe, ce n’est pas une ethnie ni une nationalité – c’est avant tout une vision du monde, une idée ». On pourrait ajouter que l’accomplissement de cette idée est un outil essentiel de la légitimation de tous les régimes russes qui se succèdent depuis la naissance de l’Empire. Le style change, les alliés et les références parfois aussi, mais pas l’idée que la Russie a un destin messianique et une identité propre qui ne peuvent s’accommoder des influences externes qui l’entourent. Vieil Empire de contact qui s’est pensé comme une forteresse (kremlin) progressivement construit, consolidé et agrandi à la faveur des guerres menées face aux envahisseurs venus d’Asie (Huns, Mongols, Tatars) mais aussi d’Europe (Napoléon, Hitler), les théâtres de la géopolitique russe ne changent pas et sont au nombre de trois pour pouvoir exercer une hégémonie globale sur le heartland : le théâtre occidental (de la Baltique aux Carpates), le théâtre méridional (du Danube aux montagnes de Perse) et le théâtre oriental (de la Volga à l’Altaï).
Le mythe de la citadelle assiégée – Aux racines d’un pouvoir absolu

La stratégie politique portée par les pouvoirs russes part systématiquement de la géographie, à savoir celle d’une Russie assise sur un territoire vaste et ouvert mais paradoxalement enclavé et qui ne possède pas de véritables voies de sortie. Cette situation alimente une fièvre obsidionale, i.e. une crainte ancestrale de l’encerclement et explique l’obsession des pouvoirs russes depuis le XVIe siècle de repousser les frontières le plus loin possible de Moscou en soumettant peuples et ressources. Vladimir Poutine approfondit cette vision en développant le concept d’« Eurasisme » à la suite d’Alexandre Dougine. Plutôt que de considérer la Russie comme un Etat à cheval entre deux continents, le chef incontesté du Kremlin depuis 2000 veut faire de la Russie le pivot d’un vaste ensemble terrestre qui s’opposerait à l’Occident et multiplie les initiatives à direction de l’Asie centrale et de la Chine (OCS, Union eurasiatique de 2014, promotion du FTAAP à l’occasion du dernier sommet de l’APEC).
C’est aussi cette nécessité de garantir les conquêtes, de se prémunir du morcellement et se protéger des incursions étrangères aux frontières qui explique que l’Etat russe se construit nécessairement autour d’un pouvoir fort, absolu, radicalisé, patriotique et hyper centralisé. Cette construction nationale explique aussi le rapport particulier sur le temps long des pouvoirs russes à une guerre qu’ils mènent quasi constamment, en interne ou en externe, de manière directe ou indirecte, de manière chaude ou froide, sans se penser pour autant comme bellicistes. En effet, la Russie impériale, l’URSS communiste et finalement la Russie de Poutine aiment à présenter systématiquement la guerre comme une guerre de défense, légitime et surtout qui ne cesse de légitimer le pouvoir en place. Il s’agit de défendre un territoire face aux attaques étrangères (la Grande Guerre patriotique contre Hitler en 1941) ; des routes nécessaires au développement économique du pays (les mers chaudes et aujourd’hui l’Arctique) ; des amis et des peuples oppressés (peuples coloniaux à partir des années 1920, Russes des pays proches aujourd’hui et notamment en Moldavie, en Ukraine et en Crimée) ; sa sécurité face à des ennemis de l’intérieur (des koulaks aux « terroristes » du Caucase) ; sa zone d’influence dans l’étranger proche, surtout depuis l’extension de l’OTAN et de l’UE jusqu’à ses frontières (guerre en Géorgie en 2008) mais aussi ses intérêts et ses valeurs face à l’expansion du libéralisme. Dans ce cadre, aussi parce que les outils classiques de la puissance coûtent cher, la Russie développe de nouvelles stratégies -, finalement plus accessibles mais efficaces pour déstabiliser ses adversaires en passant par les réseaux de l’Internet mondial et usant de plus en plus de l’arme énergétique.


Un pouvoir assis sur une histoire sans cesse glorifiée et instrumentalisée

Pour mobiliser la population derrière l’effort nécessaire de puissance, et à côté d’un pouvoir répressif, la Russie sait entretenir son identité par la promotion sélective mais omniprésente de son histoire de temps long. La Russie bolchévique rompt certes brutalement avec l’ordre socio-économique d’Ancien régime de l’Empire des Romanov et crée ses propres héros : des hommes comme Lénine, Staline ou Youri Gagarine ; des villes aussi comme Leningrad. Mais elle n’en réutilise pas moins les figures de l’histoire impériale pour s’inscrire dans ce long roman national de la lutte éternelle de la « Grande Russie »  pour son indépendance et ses principes. Le bogatyr Ilya Mouromets est ainsi au cœur du film d’Aleksander Ptouchko Le géant de la steppe réalisé en 1956. Les victoires contre les Suédois (1240) et les chevaliers de l’Ordre teutonique (1237) du prince Nevski sont mises en scène par Serge Eisenstein en 1938. Le même Eisenstein poursuit en 1944 avec une vie d’Ivan IV dit le Terrible (XVIe siècle), considéré comme le fondateur de la Russie impériale, aux frontières étendues et pour partie pacifiées sous son règne. De même, Guerre et Paix de Léon Tolstoï qui retrace (notamment) l’héroïque défense russe face aux armées de Napoléon, a été distribuée à plus de 10 000 exemplaires lors du siège de Léningrad pour galvaniser civils et soldats.
Spontanément peu enclin à glorifier le passé soviétique même si il déclare en mars 2018 qu’il aurait tout fait pour éviter la fin de l’URSS si il avait été alors en situation de la faire, Vladimir Poutine, à la suite de la pensée d’Ivan Iline et d’A.Douguine, considère pour sa part que la grandeur du pays va de pair aussi avec la restauration d’outils ancestraux de la puissance russe. Ici, contrairement à la période soviétique, l’Eglise orthodoxe russe est amenée aussi à servir ses ambitions internationales comme l’a symbolisée à Paris l’ouverture en 2016 d’une Eglise et d’un centre culturel. Ce faisant, en s’opposant au libéralisme occidental et en reprenant un concept né au XVe siècle, il veut faire de Moscou la « Troisième Rome » et bâtir autour de ses valeurs et dans son étranger proche un Empire solide, à l’image de la Rome antique et de Constantinople, garant des valeurs de la Russie éternelle.


Problématisation / Lignes forces :

La décennie 1990 commence avec la chute de l’URSS et une douloureuse conversion au capitalisme qui se marque par une involution contrainte de la puissance russe qui se soumet au mieux au jeu d’un ordre mondial alors dominé par les EUA. Marqué par l’effondrement de l’URSS qu’il considère comme la « plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier » (allocution au Kremlin de 2005), Vladimir Poutine vient renouer tout en les modernisant avec les ambitions et les outils traditionnels de l’impérialisme russe. Riche et vaste puissance territoriale interface entre Asie/Europe/PMO, marquée par la peur de l’encerclement, la Russie maintient une lecture classique de la puissance appuyée sur la domination des espaces proches et un pouvoir fort tout en usant du levier énergétique pour tenter de reprendre sa place dans le nouvel ordre mondial multipolaire. Ce faisant, il s’agit de participer, avec d’autres Etats et parfois en concurrence avec eux, à la contestation de l’ordre occidental tel qu’il s’est imposé depuis 1945. Maintenant la Russie reste une puissance aux bases fragiles, à la fois actrice mais aussi possible victime de la reconfiguration géopolitique mondiale.

L'ensemble du travail de Stépahnie Leu est téléchargeable sous le titre "élements de réflexion sur la géopolitique russe dans l'encadré "en savoir plus " ci dessous.

Plan de la mise au point:

 

  1. Une décennie noire – la décennie 1990. La décennie de l’humiliation
    • La conversion au capitalisme libéral
    • Une société en souffrance
    • La décennie des oligarques
    • Un nain géopolitique confronté aux sécessions – l’étranger proche s’éloigne

2. Axes et méthodes de la réassurance russe sous V. Poutine

    • Une réorganisation de l’Etat et de ses politiques : reconstruire les socles de la puissance
    • Le redéveloppement des outils de la puissance conventionnelle
    • Ralentissement et déséquilibres ? Une puissance fragile
    • Une société à nouveau de plus en plus inégalitaire
    • Une diplomatie tous azimuts depuis la fin des années 2000


En téléchargement dans l'encadré "en savoir plus" vous trouverez plusieurs courts focus sur quelques aspects de la question

    • Les grands principes de la diplomatie énergétique russe
    • La politique étrangère russe depuis 1990
    • L’arme russe de la guerre hybride
    • Relecture du conflit ukrainien