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Hommage des enseignants de l'académie de Paris à Raphaël Esrail

« Et permettez-moi d’ajouter que si nous sommes là auprès de vous, aujourd’hui, et quand nous témoignons dans les classes, c’est parce que nous vous aimons. »

Raphaël Esrail (1925- 2022)

C’est souvent par une déclaration d’amour enflammée que Raphaël Esrail concluait ses discours à la jeunesse. À plus de 90 ans, cet infatigable témoin ne se lassait jamais de raconter son parcours, non pour ressasser un passé monstrueux mais pour construire un avenir meilleur. Il était obsédé par la nécessité de transmettre aux jeunes générations sa mémoire du génocide afin que, plus jamais, la Bête immonde ne se réveillât. Ce qui le guidait n’était pas tant le « devoir » de mémoire à l’égard de ceux qui n’étaient pas revenus des camps que l’espoir de construire une société fraternelle, expurgée des fléaux du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme. Avec vigilance, opiniâtreté et méthode, il parlait d’hier pour construire demain.

Né en 1925 à Salonique Raphaël Esrail avait quitté la Turquie avec ses parents en 1926. La famille s’était installée à Lyon, dans le quartier populaire de la Croix Rousse.  Au début de la guerre, alors qu’il était élève ingénieur à l’École centrale, Raphaël s’était engagé dans le réseau de fabrication de faux papiers mis en place par la "6e", mouvement de résistance issu des Éclaireurs israélites de France. Son action consistait à créer de fausses identités pour sauver des hommes « Juifs, non Juifs, membres de la Résistance intérieure. »

Arrêté le 8 janvier 1944 place des Célestins par des membres du Parti populaire français (PPF) il avait été emmené au siège de la Gestapo, avenue Marcelin Berthelot, pour être questionné sous la torture. Emprisonné à Montluc avant d'être transféré au camp de Drancy, il avait été déporté le 3 février 1944 par le convoi 67 au camp d'Auschwitz-Birkenau où il passa 11 mois jusqu'à l'évacuation du camp, le 18 janvier 1945, sous le Matricule 173295.

La Marche de la Mort l’avait mené d'abord au camp de Gross-Rosen. Au cours du transport en train qui le conduisait vers le camp de Dachau, il avait réussi à s'évader avec un camarade. Repris, il avait été épargné par ses bourreaux en raison de son infection au typhus et envoyé à Dachau puis au camp annexe du Waldlager qui en dépendait. Libéré le 1er mai 1945 par les troupes américaines, il avait eu la joie de retrouver sa famille à Lyon et Liliane Badour, la jolie jeune femme croisée dans l’horreur de la déportation qui devint son épouse en janvier 1948.

Membre actif de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz dans les années 1980, il en devint le secrétaire général en 1986 et prit la présidence de l'Union des déportés d'Auschwitz (UDA), structure réunissant les différentes associations de survivants en lien avec des camps du complexe concentrationnaire d'Auschwitz.

Avec son regard lumineux, son petit sourire au coin des lèvres, il s’adressait solennellement et d’une voix posée aux élèves, les engageant à maintenir en éveil leur esprit critique pour que jamais le processus génocidaire ne pût renaître de la haine de l’autre. Il parlait du passé cauchemardesque qu’il avait vécu pour mieux combattre les germes misanthropes, sectaires et populistes de notre société actuelle.

Il croyait beaucoup en l’école de la République et soutenait les projets éducatifs, à commencer par le concours national de la Résistance et de la Déportation, qu’il inscrivait dans une « forme d’engagement côtoyant celui de l’entrée en résistance. » Il savait que l’éducation en général et l’enseignement de l’histoire en particulier étaient la panacée à bien des maux. Il tenait en haute estime la mission des professeurs car il savait qu’après la disparition des témoins, ce serait à eux seuls que reviendrait l’impérieuse nécessité de transmettre la mémoire pour faire l’histoire de cette période.

Nombreux sont ceux d’entre nous qui se souviennent de sa vaillance et de son engagement lors de voyages d’études à Auschwitz. Emmitouflé dans son manteau de laine et coiffé d’une chapka, il nous guidait avec force et détermination dans le dédale de l’horreur pour que l’on sache et qu’on puisse dire, à notre tour, en classe, ce qui s’était passé à l’ombre des miradors.

Nombreux aussi sont ceux qui se rappellent sa présence systématique avec ses camarades sous l’arc de triomphe lors du ravivage de la flamme, chaque 27 janvier.

Nombreux sont ceux enfin qui gardent en mémoire les vibrants discours humanistes qu’il prononçait au cours des cérémonies de remise de prix du CNRD dans l’académie de Paris.

Son témoignage, en direct et en streaming depuis quelques années, guidait et interpellait élèves et enseignants. Il faisait réfléchir et inspirait une forme de sérénité car il suffisait de suivre ses conseils pour croire à la possibilité d’un avenir démocratique et heureux. Plus il témoignait, plus il avait envie de le faire, la transmission de cette mémoire aux jeunes gens semblant lui insuffler une énergie nouvelle pour « passer le flambeau de la mémoire ». À un élève qui le remerciait de son témoignage, il avait d’ailleurs répondu : « C’est moi, mon jeune ami, qui vous remercie pour le futur. »

Car malgré toutes les horreurs qu’il avait vécues, il gardait foi en l’Homme. Altruiste et optimiste, il voulait croire que la jeunesse serait capable de mettre en œuvre les valeurs humanistes qu’il portait si haut.

Raphaël Esrail n’est plus. Nous n’oublierons pas son message philanthrope. Et à la belle personne qui s’en est allée le 22 janvier 2022, nous déclarons avec tristesse : « Nous aussi, Monsieur, nous vous aimions. »

Rachid Azzouz, Carole Barciet, Sandrine Besnard, François Blanzat, Patrick Choukroun, Samuel Coulon, Marie Cuirot, Thierry Durand, Xavier Galetou, Dominique Gamache, Corinne Glaymann, Elisabeth Helfer-Aubrac,
Sylvie Hennet, Sandrine Hillion, Stephanie Ibinga, Patricia Jourdy, Jean-Philippe Namont, Yann Simon, François Sirel, Hélène Staes, Judith Volcot.