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Histoire d’un crime - Zecca

Montrer la mort au cinéma - Conférence de Pierre Eugène

Le 9 décembre 2022 s'est tenue au lycée Louis-le-Grand PARIS 5 une journée d’études mise en place par Aurélie Suratteau, IA-IPR de Philosophie et Jean-Philippe TABOULOT, IA-IPR de Lettres, dans le cadre de l'Enseignement de Spécialité HLP (Humanités, littérature, philosophie) des classes de Première et de Terminale. Cette journée fut  entre autres composée d'une conférence de M. Pierre Eugène, Maître de Conférence à l’Université de Picardie et Rédacteur aux Cahiers du cinéma.  La conférence, intitulée “Montrer la mort au cinéma”, s'incrit dans l'objet d'étude de Terminale "L'Humanité en question" et plus particulièrement dans le chapitre "Histoire et Violence". 
Vous trouverez un compte-rendu de cette conférence par notre collègue Alexandra Zonabend, le diaporama ayant servi de support à la conférence, ainsi qu'un enregistrement de celle-ci.

Compte rendu de la conférence

 

Pierre Eugène, Maître de Conférence à l’Université de Picardie Jules Verne

Conférence du 9 décembre 2022 au lycée Louis le Grand

“Montrer la mort au cinéma”

Pierre Eugène soulève une question importante : comment montrer la mort ? et comment la montrer au cinéma? Il s’intéresse à l’aspect éthique de cette représentation.

Pierre Eugène revient sur l’histoire du cinéma et montre combien, dès le début, les premiers inventeurs ont entretenu un lien très fort avec les questions de la mort et de l'au-delà. Il montre les liens que le cinéma entretient avec la mort dès ses débuts, qu’il s’agisse de l’invention par Thomas Edison des premiers appareils de prise de son (le phonographe, d’abord conçu pour recueillir les derniers mots des mourants) ou encore du projet du “nécrophone”, destiné à communiquer avec les esprits.

Dans le contexte du cinéma naissant, la première perception que l’on a du cinéma est une perception fantomatique. L'écran est perçu comme un monde bis (voir le texte de Gorki dans le diaporama). Jacques Derrida parle ainsi du cinéma comme un médium fantomatique et évoque la conscience que l’on a d'un dédoublement auquel on se confronte quand on est filmé.

André Bazin, "Ontologie de l'image photographique", suggère qu’il s'agit de "sauver l'être par l'apparence". En effet, l’image cinématographique présente cet avantage que l’on croit toujours à son contenu, parce que la représentation est mécanique, indépendamment de la psyché humaine, et donc plus objective. Bazin, à partir des théories de Malraux, voit dans la photographie et le cinéma des arts de la réalité. Pour lui, le cinéma est "une momie en mouvement".

Pierre Eugène s’interroge ensuite sur la façon dont s'incarne la mort dans les premiers films. Chez Méliès, dans "l'Escamotage d'une dame chez Robert-Houdin"*, la mort apparaît sous le masque d'une ravissante jeune femme. Méliès, qui fut d'abord prestidigitateur, reprend dans ce film un des ses tours de magie avec un trucage. En continuité avec la presse et son imaginaire criminel, le cinéma présente ensuite des crimes à l'écran. On pense à “l'Histoire d'un crime" de Ferdinand Zecca (1901), qui copie des scènes du Musée Grévin retraçant l'itinéraire d’un criminel, de son crime à son exécution, en 1882.

Pierre Eugène aborde ensuite la question de la censure et de l’autocensure concernant le cinéma macabre.

Il évoque ainsi un fait réel, celui de l'exécution de la Bande à Pollet en 1901, qui avait été filmée par des appareils de cinéma, alors que cela avait été interdit. Il s’agit là de la première mise en œuvre d'une censure cinématographique.

Pierre Eugène revient ensuite sur le code d'autocensure des grands studios hollywoodiens, appelé Code de Production (popularisé sous le nom de Code Hays). Cette autocensure conduit les premiers réalisateurs de film à proscrire toute promotion de la sexualité hors mariage, mais aussi tout acte de violence, sauf s’il est contrecarré dans le film (criminel puni par la société ou par Dieu, dans un accident). Les sujets violents doivent donc être traités avec "bon goût".

Le cinéma représentant  le passage insaisissable de la vie à la mort, il implique une “spécificité cinématographique” (voir l’article d'André Bazin "Mort tous les après-midi" dans son ouvrage Qu’est-ce que le cinéma). Pour Pasolini, la mort est un "fulgurant montage de notre vie".

L'expérience de la mort est d'abord donnée par le cinéma avant qu'on l'expérimente soi-même. Son traitement doit donc être éthique. Pierre Eugène conclut son propos en évoquant un article de Jacques Rivette sur le film de Gillo Pontecorvo, Kapo, « De l’abjection » (Cahiers du cinéma, n° 120, juin 1961) qui fait référence en la matière. Jacques Rivette trouve abject, dans ce film, le travelling qui est fait sur un des personnages en train de mourir.