P.Bourdieu, comme il l’a laissé apparaître dans « Esquisse pour une auto-analyse », était un homme tourmenté, en proie à un combat intérieur douloureux pour tenter de « conjurer la schize qui, sa vie durant, l’a coupé en deux ». L’auteur , sociologue et psychosociologue universitaire désormais à la retraite, présente ici ses convergences et ses divergences concernant les concepts et les méthodes de celui qui se voulait un « sociologue exemplaire ». Il partage avec P.Bourdieu des origines sociales très modestes (plus modestes encore pour lui), une carrière universitaire (certes plus prestigieuse pour Bourdieu mais aussi plus « facile » ou moins « difficile » que celle de Cornaton) et un certain nombre d’engagements politiques et « moraux » (au moment de la guerre d’Algérie, pour la défense des opprimés…).  Mais, à la sociologie « crispée », « agressive », « dominatrice » de P.Bourdieu, il oppose une sociologie « partagée », « apaisée », « ouverte ». En évoquant la « sociologie critique » appliquée par Bourdieu à des questions telles que l’Ecole, le pouvoir ou la domination masculine, l’auteur pointe les imprécisions voire les confusions et les erreurs dans lesquelles l’ont entraîné une posture excessivement dogmatique, rigide. Il rappelle également combien la « mauvaise foi » (au sens sartrien du mot) était une composante du personnage de Bourdieu (par exemples : dénigrant la thèse pour « justifier » de s’y soustraire, dénonçant les « Héritiers » mais faisant sans doute ce qu’il fallait pour que ses trois fils soient, comme lui, normaliens…) et comment il a su asseoir sa domination, presque sans partage, sur la sociologie française (tout en prétendant faire acte de résistance dans une citadelle assiégée).  Mais on se méprendrait en prenant cet ouvrage comme un énième règlement de compte : l’auteur semble éprouver de l’admiration pour certaines intuitions et la puissance de travail de Bourdieu et aussi de l’empathie pour un homme généreux et soucieux des plus humbles. Un ouvrage très attachant et recommandable.