Bandeau

Parcours n°2 sur l'oeuvre de Wajdi Mouawad

Mouawad Ce parcours autour de l'oeuvre de Wajdi Mouawad a été proposé dans le cadre d'une classe de 3e du collège Courteline par Christiane Gayerie.

Objectifs

Découvrir et aborder l'autobiographie puis la tragédie par l’écriture de soi à partir de texte de Wajdi Mouawad, Un obus dans le coeur publié aux éditions Léméac/ Actes Sud et Incendies (texte de Wajdi Mouawad et film de Denis Villeneuve).

Supports

Un obus dans le cœur, Wajdi Mouawad, Léméac

Incendies: le texte de Wajdi Mouawad et le film de Denis Villeneuve

Description

Étape n°1: Atelier d’écriture, l'écriture de soi.

Entrer dans la littérature par l'expérience intime et l'écriture. En s'inspirant du travail et de la menée des ateliers d'écriture relatés par François BON, on procède à la lecture successive de deux extraits du texte de Wajdi Mouawad, puis à l'écriture personnelle. On peut mener l'activité proposée dans l’ordre dans lequel elle est indiquée ou bien commencer à partir de l'extrait du texte 2 proposé au point 7.

Dispositif et conduite de l'exercice

1. Menée possible d'un atelier d'écriture

Les élèves sont silencieux et munis d'un cahier de brouillon.

Le professeur indique les règles de l'exercice qui va suivre.

Il peut parler de François BON, de la manière avec laquelle il a mené l'expérience dont on s'inspire, dans les collèges de Bobigny, dans les quartiers, dans les prisons, etc. Dire par exemple aux élèves que, puisque chacun a vécu une expérience humaine, chacun a quelque chose à dire, à écrire.

Il dit également quelques mots concernant Wajdi Mouawad ainsi que de l'ouvrage dont ce texte est extrait.

Il lit ensuite lentement, plusieurs fois, l’extrait proposé, de façon relativement atone et peu expressive.

Les élèves écoutent ce texte en silence, sans le commenter, sans poser de questions, sans communiquer entre eux de quelque manière que ce soit. Ils ne notent rien pendant cette lecture.

Consigne aux élèves : écrivez vous aussi, en silence, seuls, un début de texte autobiographique à votre manière et sa suite possible. Vous utiliserez plusieurs fois l'adverbe avant

2. Lecture par le professeur

On lira le texte 1 (disponible ci-dessous) jusqu'à la fin de la phrase : Moi, le premier mot que j'ai trouvé pour pouvoir raconter ce qui s'est passé, c'est le mot «avant».

Préciser aux élèves qu'ils ne sont pas obligés de dire la vérité, qu'écrire c'est mentir.

3. Écriture individuelle silencieuse

On ne répond à aucune question et on fait respecter la concentration et l'intimité nécessaire à l'écriture de chacun.

4. Lecture à voix haute

Lorsque les élèves ont fini, chacun d'eux va lire son texte debout, à voix haute, en adressant vraiment sa lecture. On explique que ce travail est nécessaire à la progression de chacun.

Le professeur indique les règles nécessaires à la conduite de l'exercice:

  • -Chaque élève va se lever à tour de rôle, pour lire son texte, lentement, fort, de façon audible.
  • - Aucun commentaire, aucune remarque, aucune moquerie ne sera acceptée.(note de civisme, Palier...)
  • - La lecture se fait de manière continue, sans interruption, les élèves lisant les uns après les autres, dans l'ordre dans lequel ils sont placés.

Cet exercice, surprenant au départ, qui permet de travailler l'écrit et l'oral, fonctionne très bien et est extrêmement enrichissant, à la fois du point de vue littéraire et pédagogique, mais aussi psychologique et humain.

5. Après la lecture, échange oral

a. Question ouverte du professeur: que souhaitez-vous dire de cet exercice?

Les élèves lèvent la main, ne parlent qu'après y avoir été invités, s'écoutent sans se juger. (Ces prises de parole peuvent faire l'objet d'une évaluation chiffrée ou non, socle commun.....)

Les élèves se montrent très intéressés par cet exercice, qui révèle l'ancrage humain de l'écriture et prennent en compte, de façon positive, leurs différences; ils découvrent que parfois s''ils croyaient se connaître les uns, les autres, ce n'est en fait pas toujours le cas; que chacun a quelque chose à dire et qu'ils constituent une communauté humaine riche, ce dont ils n'avaient pas forcément conscience; qu'enfin, être «bon en français» est une notion imprécise, qu'on peut se dire ou se croire «nul» et être riche d'émotions, d'expériences et toucher son auditoire, etc.

b. Question du professeur: qu'est-ce qui selon vous fait qu'un texte est plus ou moins intéressant?

Les élèves relèvent l'importance de la ponctuation, le rôle positif ou négatif des répétitions, l'importance de l'usage du jeu des pronoms et de la chaîne référentielle pour la compréhension du texte, l'importance et la nécessité d'être concret, précis, de trouver les mots justes.

6. Réécriture

Nantis de ces observations qu'on peut ériger en grille d'autoévaluation, les élèves retravaillent leur brouillon, réécrivent tout s'ils le souhaitent, utilisent dictionnaires, logiciels ou manuels de conjugaison. Le professeur passe donner des pistes et des conseils à certains élèves.

Les élèves se relisent avec la grille d'évaluation, recopient et rendent leur feuille. Ce travail peut faire l'objet, à partir de la grille préétablie et déjà complétée par l'élève, d'une évaluation chiffrée ou non. (Socle commun...). Elle peut permettre de mettre en place des travaux de remise à niveau en langue ou menés individuellement ou plus efficacement en petits groupes. Le professeur ne perdra pas de vue qu'il s'agit, dans cet exercice de mettre en place une pédagogie de la réussite et de créer ou de développer, chez les élèves, le plaisir d'écrire.

7. Même exercice à partir de l'extrait du texte 2

Même conduite d'exercice. Mêmes techniques de lecture, d'écriture accompagnée et de co-évaluation avec le texte n°2 disponible également au téléchargement ci-dessous :

J'ai sept ans. Pays de mon enfance. Je suis accroché au guidon de mon tricycle et je fais le tour du balcon. Je surclasse tous les records. Mon bolide fonce à des années-lumière de la Terre. Je dois me rendre de toute urgence à la planète Vulgus, où se joue le sort de l'humanité. Je n'aurai aucune pitié pour les monstres monstrueux. D'ailleurs, bien fixé sur mon guidon, tout près du klaxon, mon canon à laser me permettra de pulvériser tous les vulgaires Vulgusiens. Ma mère m'énerve. Sa présence me rappelle que je suis toujours à la maison et non pas dans l'hyperespace. C'est pas grave. Mes yeux la transforment aussitôt, elle et sa planche à repasser, en un gnome spatial horrible à écailles de morue et à yeux de mouche. Et je fonce, et je pédale, libre comme l'air. Calme-toi et roule moins vite, me hurle le gnome à la planche à repasser, et moi, courageux comme pas un, je lui réponds que le venin informe qui lui sort de la bouche ne saura pas m'arrêter dans ma mission. L'humanité m'attend et je ne faillirai pas. Victoire ! Le gnome bat en retraite. Mais pas pour longtemps, le gnome revient et me dit qu'il faut que je me dépêche pour aller rendre visite à tante Hélène. Je pleure. Je remue, me débats et me défends, mais rien à faire, me voilà dans l'ascenseur en compagnie du gnome et on descend les sept étages.

Étape n°2 Lecture analytique

Texte 1, incipit (version téléchargeable disponible ci-dessous)

On ne sait jamais comment une histoire commence. Je veux dire que lorsqu'une histoire commence et que cette histoire vous arrive à vous, vous ne savez pas, au moment où elle commence, qu'elle commence. Je veux dire... Je veux dire que vous n'êtes pas là, à marcher tranquillement dans la rue et tout à coup, vous vous dites : tiens, voilà, une histoire qui commence. Je veux dire, on ne le sait pas... puis, lorsque finalement on réalise qu'on est embarqué dans une histoire, on ne sait pas comment tout ça va se terminer. Personne ne peut savoir. C'est seulement à la fin.
Lorsque tout est consommé, qu'on ouvre les yeux et qu'on se dit : l'histoire est terminée. Elle est terminée et parce qu'elle est terminée, vous vous mettez à entendre le silence, le grand silence qui a failli vous noyer. C'est comme ça. Alors, pour conjurer le silence, on tente de trouver les mots. Pour raconter. Même si c'est n'importe quoi, mais un mot qu'on trouve au fond de soi, c'est comme une oasis au milieu du désert. On se précipite dessus et on le boit. On boit le mot.
Moi, le premier mot que j'ai trouvé pour pouvoir raconter ce qui s'est passé, c'est le mot «avant». Je dis « avant », mais cela ne fait pas longtemps que je peux dire « avant ». Je dis parfois : « Avant, j'étais un enfant. » Mais quand est-ce que j'ai cessé? Je ne sais pas. C'est comme ça maintenant. J'entends les vieux qui parlent. Ils disent : « Avant la guerre. » C'est un avant fixe. La guerre c'est fixe. Parfois aussi : « Avant la mort d'un tel. » Ça aussi c'est fixe. La mort est fixe. Avant. Je ne sais pas.
Je m'appelle Abdelwahab, comme le chanteur, mais tout le monde m'appelle Wahab, j'ai dix-neuf ans et depuis peu, je peux dire le mot « avant » et c'est parfois une catastrophe.
Comment tout ça a commencé... Je ne sais pas.
Je ne peux pas dire que je l'ai entendu sonner. Je ne peux pas dire. Je peux juste dire que je me suis retrouvé assis dans mon lit à me demander si j'avais rêvé. C'était possible. Il faisait nuit, il faisait froid. Est-ce que j'ai rêvé ? Puis je l'ai entendu sonner comme une réponse : « Tu n'as pas rêvé. » Mais ça aurait pu. Dehors c'était la tempête et toutes les machines de déneigement qui faisaient leur raffut. Un vrai boucan. J'aurais pu rêver. Pourtant le me suis retrouvé le combiné à la main. J'ai dit allô d'une voix normale. On a dit : « Wahab ? » J'ai dit oui. On m'a dit : « Viens vite. » Et j'ai raccroché. Dehors, une tempête de neige. À la météo, on l'avait annoncée pour le lendemain, mais elle est arrivée pendant la nuit.
Je marche dans une rue glacée. Il tombe des lames de rasoir. C'est le froid. Le grand froid de l'hiver qui nous décharne le visage, les doigts, les pieds. L'âme tremble, mais c'est pour autre chose. J'attends. L'autobus boite jusqu'à l'arrêt, mais le feu tourne au rouge. Il s'arrête. Il est à vingt mètres. Je regarde le chauffeur qui prend une gorgée de quelque chose de chaud. Il me voit. Le feu est rouge. Le clignement de mes yeux fait fondre le givre de mes cils et c'est l'hiver au complet qui pleure sur mon visage. Je tiens un peu de monnaie entre mes doigts crispés au fond de la poche de mon manteau. Je respire fort dans mon foulard pour que la buée qui sort de ma bouche me réchauffe le nez. L'autobus ne bouge pas. C'est à tuer tout le monde. À poser des bombes. Avant, il y avait le soleil. Mais quand ? Quand ?... Cette ville est une punition. Mais y a rien à dire. Mieux vaut ça qu'une bombe dans la gueule. Je suis frère jumeau d'une guerre civile qui a ravagé le pays de ma naissance.
On ne sait jamais comment commence une histoire. On ne sait jamais. Je veux dire que je n'étais pas assis à attendre que ça arrive. C'est arrivé. Je dormais. Driiiiing ! Allô ? Viens vite. Shlack ! Congélateur. Autobus au coin de la rue. Feu vert. L'autobus titube vers moi. Si la tempête pouvait durer mille ans. Qu'il neige mille ans. Sans arrêt. Que ça batte tous les records. De durée. D'accumulation. De merde. Qu'il neige tellement que je puisse dire plus tard : « Avant la tempête », « Après la tempête », et tout le monde de mon âge saura de quelle nuit je parle.
L'autobus s'arrête. Les portes s'ouvrent. Je monte.
Plus jeune, le mot « avant » appartenait surtout à mon père, ma mère. Ma mère disait: « Avant la guerre... le pays était beau. »Elle parlait de ce pays lointain, pays des ancêtres, des cèdres et de l'eau, des montagnes et du soleil, pays perdu, pays vaincu, et moi, loin de la guerre civile, ma sœur jumelle, assis dans un coin du salon d'où j'écoutais les grands parler entre eux, j’imaginais une grande promenade ensoleillée. La mer venait se ravager aux pieds des passants qui, pantalons aux bords roulés jusqu’en haut des genoux, marchaient en tenant leurs souliers dans leurs mains. Mon père disait : « Avant mon mariage... » et je voyais un homme libre. À cet âge, j'étais surtout aux prises avec les plus tard. Plus tard, tu seras grand, tu comprendras, tu pourras, tu feras, tu iras, et moi je me gavais d'impossible. Aujourd'hui, tout cela est pour moi un avant et le suis dans ce plus tard si souvent désiré, si puissamment rêvé, et je peux dire que ce plus tard, maintenant que j’y suis assis, je l'ai dans le cul. Je suis assis au fond de l'autobus, je suis devenu grand et je me gèle le cul et personne ne sait qui je suis et ce qui m'arrive.
J'essaie d'imaginer comment ça va être. Avec un peu de chance, j'arriverai là le dernier. J'ai pas de bagnole. Je ne conduis même pas, alors j'ai payé ma place dans l'autobus. Ça a failli mal finir. Il me manquait vingt-cinq cents. Il a fallu parlementer avec le chauffeur. J'ai pourtant essayé de passer en douce en mettant toute ma monnaie dans sa tirelire, mais il avait l'oreille. C'était un fin. Un malin. Il devait être chauffeur depuis longtemps. Sans regarder, juste au son des pièces tombées au fond de la boîte en métal, il a su. Il lève sa main. Je m'arrête. Je recule. Il ne me regarde pas. Il tient sa main levée et il me dit :
–Yen manque.
–C'est tout ce que j'ai...
–Yen manque.
–On tournait en rond.
–Alors ?
–Alors y manque vingt-cinq cents.
Je ne sais pas comment tout ça s'est ter­miné... il y a des dialogues que je préfère oublier. Je lui ai dit : « Je vais à l'hôpital. »
T'as raison d'aller à l'hôpital. Quand on est malade dans sa tête, on se soigne.
Ma mère est en train de mourir, connard, et ton vingt-cinq cents, tu peux te le fourrer au fond du cul !
C'est sorti d'un coup. Il n'a rien dit. Je suis allé au fond. J'ai entendu le chauffeur dire au passager assis à ses côtés : « Encore un crisse de Français. »
– Je ne suis pas Français et je t'emmerde, j'ai hurlé.
Au moins y a ça.
Quand notre mère est en train de mourir, ça nous donne certains droits.
Wajdi MOUAWAD, Un obus dans le cœur, Léméac, Actes Sud Junior, 2007

Questions:

Je m'appelle Abdelwahab, comme le chanteur

  1. Quelles remarques pouvez-vous faire sur ce texte? En quoi vous surprend-il?
  2. Qui parle?A quoi le voyez-vous?
  3. Qu'apprend-on sur lui? (nom, âge, caractère, comportement, niveau de langue..)
  4. A qui parle-t-il? Observez les pronoms et déterminants lignes 2, 3 et 4.Quel est l'effet produit?
  5. Quel est la nature de « on », ligne 1 à 13? Qui désigne-t-il? Quel effet son usage produit-il?
  6. Qui désigne « nous »à la dernière ligne? Quel effet produit?

A peine sorti de l'enfance

  1. Observez le jeu des temps de l'indicatif. Le texte est-il chronologique? Rétablissez la chronologie des évènements relatés.
  2. Où le narrateur vivait-il « avant? » Qu'apprend-on sur ce pays?
  3. Où vit-il « maintenant » ?

« La jeunesse est en colère contre vous »

  1. Observez les phrases des lignes 47 à 51. Que remarquez-vous ? Quel est l'effet produit ?
  2. Observez l'usage des adverbes de temps dans les lignes 55 à 64? Qu'exprime l'auteur- narrateur? Quels sentiments, selon vous, éprouve-t-il?
  3. Quelles sont, selon vous, les valeurs du futur l.63 et 64?qu'exprime selon vous le narrateur en évoquant ces phrases?
  4. Quel événement grave le narrateur vient-il d'apprendre?

Discussion

  1. Peut-on expliquer et/ou justifier la colère du narrateur?
  2. L'objet de cette colère est-il légitime? Auriez-vous réagi de la même manière?
  3. Une colère, une violence qui s'expliquent sont-elles toujours légitimes?

Apprendre

  1. Quels sont les outils grammaticaux et lexicaux qui permettent d'écrire un texte autobiographique

Etape n°3 : du texte à l’image

Analyse de l’image : les affiches du film

  1. Quels sont leurs points communs ? Leurs différences ?
  2. Qu’en concluez-vous concernant le film (thèmes, succès critique…)

Affiche du film Incendies 1 images

N.B.: pour une grille plus complète, consulter la fiche de lecture de l'image proposée par Jean-Marie Bourguignon. On peut également comparer ces deux affiches avec l'affiche originale de la pièce, ci-dessous.

incendies-Affiche-originale1

Filmer une tragédie

1. Projection de la bande annonce officielle du film de Denis Villeneuve

Disponible sur http://www.youtube.com/watch?v=YStpiwG3CiE&feature=related

  1. Où se déroule l’histoire ? Quand ? A quoi le voyez-vous ?
  2. Qui sont les héros du film ?
  3. Qu’apprennent-ils sur eux ?
  4. Quel est le but de leur quête ?
  5. De quels éléments appartenant à la biographie de Wajdi Mouawad ce film semble-t-il s’inspirer ?

2. Projection du film en salle, sur grand écran, après avoir pris contact avec les Cinémas Indépendants Parisiens

Pour les contacter :
http://www.cinep.org/site/pages/association/contacts.htm

Pour préparer la projection :
http://www.allocine.fr/film/anecdote_gen_cfilm=179349.html

3. Après la projection :

a. Grille d’analyse filmique

b. Liens avec la tragédie

On envisage, les liens possibles avec la tragédie classique en s’appuyant sur ce que les élèves en connaissent, notamment avec le mythe d’Œdipe. On peut les lancer dans la lecture d’Œdipe le Maudit, de Marie-Thérèse Davidson, Histoires noires de la Mythologie ©Editions Nathan 2003.

On les invite à s’interroger: quelle faute originelle a bien pu être commise dans Incendies, par qui ?