FOCUS SUR
L'ENSEIGNEMENT DE...
... de la lecture et de la littérature à l'école primaire
... l'écriture
... l'oral
... la langue
Ce travail, mené par Yaël Boublil avec ses élèves de 3eD du collège Jean-Baptiste Clément entre Mars et Juin 2012, a fait l'objet d'une publication dans le fascicule Enseigner les lettres avec le numérique 2012 et d'une présentation lors des ateliers pédagogiques du Rendez-vous des Lettres du 19 au 21 novembre 2012.
Les séquences que j’avais proposées à mes élèves de 3e d’un collège REP situé à Ménilmontant jusqu’à celle-ci comportaient toutes au moins une séance utilisant un outil informatique : utilisation du traitement de texte, publication sur un blog, recherches documentaires sur Internet … Il s’agissait toujours d’utiliser les fonctionnalités d’un outil numérique dans le but de lire, d’écrire et de publier.
Un séminaire d’Histoire des Arts suivi à Lyon à l’IFé et le séminaire PRECIP suivi à Compiègne, cette année m’ont donné envie de renverser le point de vue et de ne pas seulement utiliser le numérique mais de l’étudier pour lui-même, pour sa « littérarité »
Formes du récit aux XXe et XXIe siècle (récits d’enfance et d’adolescence et récits porteurs d’un regard sur l’histoire)
Comment l’analyse d’œuvres littéraires numériques peut-elle contribuer non seulement à l’éducation aux médias mais surtout à la compréhension des enjeux de la littérature aujourd’hui ?
Durée de la séquence : une quinzaine d’heures avec un retour en fin d’année sur la séquence.
Impossibilités du souvenir 2 on Prezi
Pourquoi Georges Perec, Alexandra Saemmer et Serge Bouchardon ? Quelques réponses dans le Prezi ci-dessus, n'hésitez pas pas à zoomer !
La séquence s’ouvre par une enquête menée au CDI en collaboration avec une des stagiaires M2 de notre documentaliste.
Un diaporama comprenant des extraits de dix textes sans aucune référence est confié aux élèves. Ils doivent compléter chaque diapositive qui présente un extrait distinct centré sur la période de l’enfance ou l’adolescence, par l’auteur, le titre, la date de première publication et une courte biographie de l’auteur.Une fois toutes les diapositives traitées, il s’agit de proposer un classement des œuvres.
Pour réaliser cet exercice, qui a pour principal intérêt de donner beaucoup à lire, deux groupes sont constitués : l’un n’a accès qu’aux ressources papier du CDI, l’autre uniquement aux ordinateurs. À la fin de la séance, les élèves constatent, non sans étonnement, que le nombre d’extraits contextualisés est quasi équivalent entre le groupe « papier » qui a choisi de mutualiser ses recherches et le groupe « numérique » qui s’est contenté de recherches par binôme. Quant au classement, la plupart a choisi un classement chronologique mais deux d’entre eux ont tenté un classement par sous-genre qui permet lors de la correction du travail au TNI pendant la séance suivante, de définir les différentes spécificités des genres autobiographiques en présentant entre autres aux élèves, le site de Philippe Lejeune Autopacte.
La correction est également l’occasion de mutualiser les stratégies de recherches efficaces trouvées par les élèves : saisie d’un extrait du texte, recherche dans les articles « autobiographie », etc.
Le deuxième mouvement de cette séquence s’ouvre sur un travail d’écriture très traditionnel à partir d’un des extraits du diaporama exploité précédemment : les cinq premiers « Je me souviens » du recueil de Georges Perec. Les élèves sont invités à les publier sur le blog de classe et encore une fois à les classer. L’obsession de la liste ainsi mise au jour, on propose aux élèves d’approfondir leur biographie de Georges Perec, en s’intéressant particulièrement à ses récits et ses liens avec l’OULIPO (Ouvroir de littérature potentielle).
On propose alors aux élèves les trois premiers chapitres de W ou le souvenir d’enfance qui font l’objet d’une lecture analytique en classe. Le dispositif narratif en « courant alternatif », comme le qualifie un de mes élèves, futur électricien, intrigue beaucoup les élèves. C’est alors que je leur demande d’aller se perdre seuls dans le Tramway d’Alexandra Saemmer, avec pour unique consigne de décrire leur itinéraire dans l’œuvre numérique.
Les élèves sont encore plus déstabilisés par ces fragments qui s’ouvrent aléatoirement au clic sans réussir à saisir le sens global de l’œuvre, qui disparaît sous leurs yeux. Leurs itinéraires décrivent le sentiment d’absurdité que leur donne le dispositif numérique dans sa répétition aléatoire, presque désincarnée. Nous relisons alors ensemble l’œuvre au TNI, en appliquant la méthode d’analyse des textes que nous construisons ensemble depuis le début de l’année : les élèves découvrent alors la scène de la mort du père, cachée par ses fenêtres qui s’ouvrent telles des bribes de conversation saisies au vol dans ce tramway, d’où nous regardons la ville grise par la vitre humide. Une émotion sincère saisit la classe face à la délicatesse d’expression du sentiment de deuil. Ils veulent encore lire Alexandra & Georges…
La séquence se poursuit avec un travail interdisciplinaire autour du thème de l’exil : la collègue d’arts plastiques a proposé une planche extraite de la bande dessinée Là où vont nos pères de Shaun Tan, comme objet d’étude pour l’oral d’histoire des arts. Alors que ma collègue d’allemand met en perspective ce roman graphique avec le rêve est-allemand de fuir à l’Ouest, dans Good Bye Lénine, je poursuis ma présentation de l’œuvre de Georges Perec en proposant un extrait de ses notes préparatoires au tournage d’Ellis Island, ainsi qu’un extrait du documentaire, tourné avec Robert Bober. Ce travail est proposé sur le netvibes d’histoire des arts du collège « Jog the web » qui rassemble les ressources pour cet objet d’étude.
Après le travail de mise en perspective des œuvres, je n’ai pas osé demander un récit de leur exil ou de celui de leurs parents. Peut-être était-ce beaucoup leur demander alors que je venais de leur faire découvrir une seconde œuvre d’Alexandra Saemmer, conçue à partir de l’outil de présentation « Prezi ». Böhmische Dörfer évoque une autre expérience de retour sur l’exil, avec une économie de moyens qui pouvait rendre complexe le passage à l’écriture des élèves.
Comment clore ce travail qui fut un moment très fort dans cette année scolaire ?
Je décide que l’évaluation finale portera sur la lecture d’une œuvre numérique de Serge Bouchardon, que j’ai rencontré au séminaire de l’IFé (Institut français de l’éducation) et que je dois revoir au séminaire PRECIP (pratiques d’écriture interactive) la semaine suivante. Mon idée initiale était de demander à l’auteur des éclaircissements éventuels aux interrogations des élèves.
La lecture de Déprise est menée au TNI sur deux heures consécutives, avec des temps de mise en voix des textes. Les questions sur la langue alternent avec la description des dispositifs et de leurs effets sur le lecteur. Les élèves sont dans une situation d’évaluation on ne peut plus classique, répondant à des questions écrites sur une feuille de copie, après plusieurs diffusions de l’œuvre. Cependant, les regards s’illuminent et les élèves se penchent avec attention sur le dispositif qui varie à chacun des six chapitres de l’œuvre. Ils tentent de restituer leur expérience d’utilisateur : le côté numérique virtuose de l’œuvre les impressionne, le chapitre sur la relation père-fils les questionne sur leurs propres relations avec leurs parents.
À la fin de l’évaluation, ils demandent à découvrir avec moi les autres œuvres disponibles sur le site de l’auteur. « Ce serait trop bien de le rencontrer, Madame ! » me suggèrent certains élèves. Je propose donc à Serge Bouchardon de jeter un œil sur leurs copies et de venir leur rendre lui-même, ce qu’il accepte avec une grande générosité.
Les élèves décident alors de préparer un accueil « à la hauteur de l’auteur ». Chacun propose au moins cinq questions qui sont ensuite classées (en hommage à Georges Perec) et mises en scène dans un Prezi (en hommage à Alexandra Saemmer), dans un dispositif quasi aléatoire.
Cette rencontre, pourtant à la dernière heure de cours précédant les vacances de Pâques suscite un grand intérêt chez les élèves, qui font dédicacer leurs copies à l’auteur, qui les rend avec la même attention bienveillante qu’il a portée à chacune des questions auxquelles il a méthodiquement répondu. Promesse est faite de continuer à échanger après cette rencontre passionnante.
Serge Bouchardon tient magnifiquement cette promesse en leur faisant parvenir à la mi-juin, son dernier travail Opacité. Un échange par courriel s’en suit autour de l’œuvre. Pour la première fois, en me faisant scribe de leurs questions, je mesure les progrès faits depuis la séquence et la maturation de leur regard sur les œuvres numériques : attention portée au thème choisi, au point de vue adopté sur celui-ci, capacité à juger sans blesser, avec la délicatesse que l’on doit à ceux dont on admire et dont on respecte le travail, car on en mesure toute la difficulté. Juste avant de se quitter, c’était un très beau cadeau pour leur professeur !
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