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La Terre source d'énergies durables

edd_2013_geosciences_2 « La géothermie doit prendre toute sa place dans la transition énergétique »

Face aux défis climatiques et à l’épuisement des ressources naturelles, l’heure est au changement et à l’innovation. La transition énergétique est un projet fédérateur pour notre pays qui doit embrasser tous les aspects sociaux, économiques, écologiques, des changements à engager. L’enjeu du développement de la chaleur renouvelable est décisif. Le grand débat national organisé par le Gouvernement doit être l’occasion pour la Nation de redécouvrir toutes les potentialités de la géothermie et de prendre les décisions nécessaires pour lever les obstacles qui freinent son développement. La revue Géosciences y contribue utilement en mettant la géothermie, le stockage de dioxyde de carbone et le stockage de l’énergie à l’honneur de son seizième numéro. Merci aux chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels qui ont contribué à l’élaboration de ce numéro qui rappelle une évidence : les géosciences sont un allié du développement durable.

Delphine Batho

Ancienne Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie

La géothermie, véritable trésor national

EDD 2013 Geosciences La géothermie doit prendre toute sa place dans notre mix énergétique. Extrêmement diverse dans ses formes et ses applications, elle présente l’avantage considérable d’une production d’énergie renouvelable non-intermittente qui peut être développée sur la majeure partie de notre territoire. C’est aussi une filière à fort potentiel pour l’industrie française. Rappelons qu’un tiers de l’énergie en France est destiné au chauffage et à la production d’eau chaude. Le développement des différentes formes de géothermie a pris du retard. 

Géothermie très basse énergie

Si le développement du marché de la très basse énergie (pompes à chaleur aérothermiques et géothermiques) est globalement en phase avec les objectifs fixés (production de 1 143 000 TEP (tonnes équivalent pétrole) en 2011, pour un objectif de 1 090 000 TEP), le marché des pompes à chaleur géothermiques (qui devait contribuer pour 280 000 TEP) reste largement en deçà de la trajectoire cible : en 2008 il y avait presque 20 000 unités de pompes à chaleur vendues, après quatre années consécutives de baisse, nous sommes aujourd'hui à moins de 8 000 unités par an. Les raisons sont multiples : crise économique, compétition d’autres technologies, baisse des constructions neuves, mais aussi inadaptation du cadre réglementaire. Pourtant, l’intérêt énergétique, écologique et économique des pompes à chaleur est incontestable : ce n’est pas un hasard si 70 % de l’habitat neuf en Suède et 50 % en Suisse sont équipés de pompes à chaleur géothermiques. En France, la part de l’habitat équipé est seulement de 3 %. 

Géothermie basse et moyenne énergie

La géothermie basse et moyenne énergie (notamment pour des réseaux de chaleur géothermique) est également en retard : la production en 2011 s’est élevée à 94 000 TEP, pour un objectif de 175 000 TEP. Leader dans les années 70, la France n’a plus développé cette géothermie entre 1996 et 2006 alors que la technologie a fait la preuve de sa durabilité et de son adaptation au milieu urbain. 

Géothermie haute énergie

La production d’électricité à partir de la géothermie haute énergie, quant à elle, s’élève en 2011 à 48 000 TEP, et reste très en retard par rapport à un objectif de 159 000 TEP. Nous devons accélérer son développement. Il est temps de donner une nouvelle impulsion à la filière géothermique, dans le cadre de la transition énergétique. Il sera aussi nécessaire de poursuivre nos efforts de recherche et de développement des technologies de séquestration et de stockage de CO2 et de stockage d’énergie. 

Géodénergies : l’utilisation rationnelle du sous-sol pour décarboner le secteur de l’énergie

À l’heure où les scénarios prédictifs du GIEC (Groupement d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) montrent qu’une augmentation d’au moins 2 degrés de la température moyenne à l’horizon 2100 est inévitable, toutes les options de réduction des émissions atmosphériques de gaz à effet de serre doivent être déployées. 

Un sous-sol, plusieurs utilisations

Le sous-sol est une ressource clé dans cette transition vers une économie décarbonée, et plusieurs utilisations peuvent être envisagées:

(1) la chaleur de la terre peut être récupérée, et être utilisée en tant que telle ou pour produire de l’électricité (géothermie) ;

(2) le stockage géologique du CO2 permet de limiter les émissions de gaz à effet de serre des filières de production d’électricité à partir des énergies fossiles ;

(3) enfin les caractéristiques des roches permettent de stocker chaleur et électricité sous différentes formes, offrant la possibilité de pallier le problème de l’intermittence de certaines sources d’énergie renouvelables, pour une plus grande efficacité de la chaîne allant de la production d’énergie à sa consommation.

Les enjeux spécifiques des projets d’ingénierie du sous-sol 

Le déploiement industriel de ces différentes filières est fortement ralenti par une série d’obstacles d’ordre technico-économique et réglementaire, ainsi que par des enjeux d’acceptabilité sociale. En effet, les projets associés à ces différentes filières ont pour point commun l’exploitation d’objets « géologiques », dont la description et les propriétés comportent un certain niveau d’incertitude. Cette incertitude – qui varie au cours de la vie d’un projet – a des conséquences importantes en termes d’efficacité et de sécurité des opérations si elle n’est pas maîtrisée. Elle doit être prise en compte dans la réglementation, dans les guides de bonnes pratiques, dans les analyses technico-économiques, et enfin lors des discussions avec les parties prenantes de la société civile. Enfin, la méconnaissance de l’objet « sous-sol » par le grand public est aussi un facteur de rejet des projets.

Dans ce contexte, la mission principale du nouvel Institut d’Excellence Géodénergies  consiste à développer des technologies et des procédures pour maximiser la performance opérationnelle des projets d’ingénierie du sous-sol au service des énergies décarbonées – production de chaleur et d’électricité, stockage de CO2 et stockage d’énergie – tout en assurant une parfaite maîtrise des risques associés aux opérations.

Des programmes de recherche innovants et intégrateurs, s’appuyant sur l’expertise des équipes partenaires.

Les différents programmes de recherche ont été établis de façon à exploiter au maximum les synergies entre filières, traitant d’abord les verrous communs puis ceux plus spécifiques aux différentes applications. Ces programmes s’organisent donc en fonction des grandes étapes de tout projet d’ingénierie du sous-sol : des phases d’exploration/caractérisation aux phases de conception et de construction, puis à celles d’exploitation et enfin de fermeture du site. Il s’agit, pour chaque phase projet, d’identifier et de développer le portfolio de technologies et de méthodologies nécessaires à l’accomplissement des objectifs de la phase en question (par exemple le contrôle de l’injectivité – stockage de CO2 – ou de la productivité – géothermie – en phase opérationnelle).

Des programmes plus transverses intégreront les aspects techniques, économiques et sociétaux, éventuellement dans une perspective multi-filière, dans une tentative d’optimisation globale de l’utilisation des ressources du sous-sol.

Principalement localisé sur le campus du BRGM, à Orléans, Géodénergies disposera d’une antenne aux Antilles pour la géothermie haute énergie et pourra s’appuyer sur des plateformes d’expérimentation comme Montmiral, dans la Drôme (analogue naturel d’un stockage de CO2).

Les compétences et les savoirs des équipes de l’IEED Géodénergies reposeront en particulier sur l’expertise des partenaires académiques, tous acteurs de recherche reconnus internationalement dans leurs domaines respectifs.

Ces équipes intégreront de nombreux doctorants et post-doctorants (avec un objectif de vingt au bout de trois ans), participant ainsi à la formation par la recherche dans les domaines scientifiques couverts par l’institut.

Géodénergies participera aussi à la définition des programmes d’enseignement universitaire destinés à la formation de techniciens, d’ingénieurs et de chercheurs, ainsi qu’aux programmes de formation permanente, de façon à accompagner la croissance des filières, tant concernant la recherche et le développement que la réalisation de projets commerciaux.

Des perspectives commerciales importantes, tant en France qu’à l’international

Le marché potentiel mondial associé aux trois filières portées par l’IEED (géothermie, stockage d’énergie et stockage de CO2) est estimé à près de 36 milliards d’euros à l’horizon 2020. Les activités des acteurs industriels français partenaires de Géodénergies couvrent la totalité des offres possibles sur les trois filières : exploitation de sites, vente d’équipements et de services, prestations de conseil. La dynamique créée par l’Institut dépassera largement le cadre de la recherche, du développement et de l’innovation, et contribuera à structurer le tissu industriel portant les différentes filières, tout en développant les synergies et en renforçant les complémentarités.

Les partenaires industriels espèrent ainsi capter jusqu’à 10 % de ces marchés et créer 25 000 emplois directs d’ici 2020, les deux tiers étant basés en France. Parallèlement, l’activité de l’institut devrait induire au minimum un potentiel équivalent en valeur ajoutée et en emplois locaux via la sous-traitance ou la fourniture d’équipements et de services.

Les activités de l’IEED contribueront ainsi à rendre opérationnelles ces nouvelles filières industrielles et permettront aux acteurs français de renforcer leur savoir-faire et leur compétitivité tant en France qu’à l’international.

 

Les géotechnologies, un enjeu de recherche

" Trois fois vingt "

Les sciences de la Terre, en particulier avec le développement des géotechnologies, ont un rôle important à jouer dans l’atteinte des objectifs français et européens en matière d’efficacité énergétique et de lutte contre le changement climatique.

D'aprèsPhilippe Freyssinet (Directeur général adjoint de l’Agence nationale de la recherche, ANR), jusqu’à une période récente, les scénarios énergétiques à l’échelle globale étaient assez clairs. La raréfaction des énergies fossiles et la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre avaient notamment conduit l’Europe à se fixer un objectif dit des « trois fois vingt » : 20 % de gain en efficacité énergétique, 20 % d’énergie renouvelable dans la production d’énergie et 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020.

Le gaz et l'huile de schiste

Aujourd’hui, un double phénomène conduit à une possible redistribution des cartes. C’est d’une part la crise économique qui, même si l’on ne renie pas le credo environnemental, pousse nos économies à privilégier les technologies énergétiques matures et relativement bon marché. D’autre part, l’émergence des gaz et huiles de schistes en Amérique, et bientôt dans d’autres régions du monde, contribue à nous faire entrer dans une ère nouvelle.

Cette nouvelle donne modifie considérablement les scénarios énergétiques selon les pays et les continents. À court terme, parce-qu’ils ont fait le choix d’exploiter ces nouvelles ressources fossiles, les États-Unis vont devenir indépendants sur le plan énergétique. En Asie, la Chine, bien que premier investisseur mondial sur les technologies vertes, s’intéresse également à ses ressources en gaz et huiles de schistes. Pour sa part, la France a réaffirmé son adhésion aux objectifs du paquet climat-énergie européen. Mais que se passera-t-il demain ?

On sait que certains pays européens envisagent déjà d’exploiter leurs réserves de gaz et huile de schiste. Nous entrons dans une phase plus incertaine en termes de scénarios énergétiques…

 

Article extrait du n°16 de la revue Géosciences du BRGM (mars 2013), avec l'aimable collaboration de A. Rouget (Webmsater de BRGM) et F. Trifigny (Coordinatrice de rédaction de la Revue Géosciences)