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Faire lire Tartuffe avec Facebook

FB - tartuffe - avatar 130 Valérie Fabre, enseignante au lycée Jean Lurçat à Paris, propose une séquence dédiée à Tartuffe, à destination d'élèves de Seconde, utilisant le réseau social Facebook. Initialement centrée sur le personnage de Tartuffe, la création du profil servait une approche du personnage de théâtre : l'imaginer, l'imager, saisir son identité d'hypocrite. Mais, très spontanément, les élèves ont créé les profils des principaux personnages : la comédie s'est déplacée de la scène sur internet, lieu de beaucoup de tartufferies.

Préparation de la production

Première séance, premier acte

Les élèves de Seconde ayant des difficultés à comprendre la langue et l’intrigue de la pièce, il s'agit de mettre le contenu à leur portée et de leur donner envie de lire l’œuvre entière. La première étape consiste à lire collégialement le premier acte de la pièce en élucidant le vocabulaire qui pose problème, et à visionner une mise en scène de cet acte. À la fin de ce travail, on annonce aux élèves qu'ils devront, lors de la prochaine séance, mobiliser des connaissances afin de dresser un portrait de Tartuffe.

Deuxième séance : des icônes de Facebook à la peinture sacrée

Les élèves reçoivent la consigne de travailler par groupe de trois et d'imaginer le profil complet Facebook de Tartuffe : amis, âge, profession, intéressé par..., pages, films et livres aimés, photos du profil, lieux fréquentés, notes.

Pour ce faire, les élèves ont à leur disposition le texte de l’acte I, une feuille contenant le lexique de la séquence et une feuille de « profil » vierge. Pendant dix minutes, les groupes doivent recenser les informations que les autres personnages donnent sur Tartuffe, en se partageant les scènes. 

Une première restitution permet de s'interroger sur le "profil" religieux de Tartuffe. Certains élèves suggèrent de mettre en favori la page Facebook du Pape ou des "Fidèles de Jésus" pour traduire son intérêt pour les livres sacrés. La statut du personnage mi laïc mi clerc appelle une mise en perspective historique. Les élèves s'interrogent assez vite sur les images que Tartuffe pourrait déposer sur son compte : autoportrait avec des cheveux longs ? photo en habit religieux ou dans une tenue stricte ? selfie de Tartuffe en pèlerinage ? 

Les élèves disposent alors d'un corpus de six tableaux à analyser à partir d'une question : "Lesquels pourraient plaire à Tartuffe ?". À partir de cette imagerie, ils doivent choisir ceux que le personnage posterait et en donner les raisons : comment ces images correspondent-elles aux différents visages de la dévotion que les personnages ont cru reconnaître en Tartuffe ? Comment peuvent-elles exercer une influence sur les visiteurs de sa page ? Ce travail s'appuie sur la série de documents joints. Les images sont d'abord commentées à l'oral. Nous retranscrivons des éléments de réponse que l'on pouvait attendre ainsi que des réactions d'élèves révélatrices de leur questionnement sur le sens de cette peinture sacrée.

1. Le Christ chez Marthe et Marie, Peter Aertsen (1552)

Ce tableau représente une visite du Christ chez deux sœurs, Marthe et Marie (cette dernière n'ayant rien à voir avec la Vierge) : l’une prépare un repas pour Jésus, l'autre ne fait rien, car elle médite.  Il montre l'opposition entre une vie contemplative et une vie active : le Christ préfère la vie contemplative. Cette image surprend les élèves qui ne saisissent pas le sens de la scène. Certains s'interrogent sur la présence du morceau de viande au premier plan, qui leur semble incongru puisqu'il symbolise selon eux le péché de gourmandise ; ils tentent aussi de comprendre l'attitude de la femme en prière : "la maison est-elle hantée ?" Les élèves se voient proposer la lecture du passage de l'Evangile correspondant à la scène représentée, pour pouvoir en décoder les significations.

Le texte de l’Evangile : Luc 10, 38-42Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme du nom de Marthe l'accueillit dans sa maison. Elle avait une sœur appelée Marie, qui s'assit aux pieds de Jésus et écoutait ce qu'il disait. Marthe était affairée aux nombreuses tâches du service. Elle survint et dit : « Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir ? Dis-lui donc de venir m'aider. » Jésus lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses, mais une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Le thème de l'hospitalité émerge progressivement et se trouve rapproché de l'amitié et de l'accueil qu'Orgon fait à Tartuffe. Pour ce dernier, les nourritures mises au premier plan révèleraient aussi sa gourmandise : la dévotion de Tartuffe n'est que le masque des passions humaines. Le principe de l'hospitalité lui permet surtout d'ouvrir bien des portes...

2. Vanité, Philippe de Champaigne (1644)

A l'origine, le terme de « vanité » est utilisé dans la Bible, dans l'Ecclésiaste 1, 2 : « vanitas vanitatum et omnia vanitas » qui signifie littéralement « vanité des vanités et tout est vanité ». Vanité, emprunté au latin vanitas, -atis signifie alors « état de vide, de non réalité ; vaine apparence, mensonge ; tromperie, fraude ; frivolité, légèreté ; vanité, jactance ». C'est ainsi que la vanité est devenue un terme désignant, dans le domaine pictural, une catégorie de nature morte symbolique qui vise à suggérer la futilité des plaisirs de l'homme et à lui rappeler sa finitude.  

Le choix de cette Vanité permettrait à Tartuffe de montrer son rapport à la Bible et son détachement feint à l'univers matériel : il s'affiche désintéressé alors que son intention est d'être captateur. Toutefois certains élèves émettent l'hypothèse que la Vanité pourrait ne pas plaire à Tartuffe qui "se croit tout puissant".

3. Christ mort couché sur son linceul, Philippe de Champaigne (1654)

Philippe de Champaigne est un peintre classique, essentiellement religieux, proche des Jansénistes, après que sa fille paralysée a été miraculeusement guérie au couvent de Port-Royal, évènement qu'il célébrera dans le célèbre et pourtant atypique Ex-voto en 1662, toile mystique d'action de grâce.

Ce tableau permettrait de mettre en valeur le sacrifice du Christ auquel Tartuffe est censé souscrire. La crédule Madame Pernelle voit en Tartuffe un envoyé du ciel pour sauver une famille qui se fourvoie : il imite la douleur du Christ en prétendant s'infliger des mortifications. 

4. Louis XIV offrant sa couronne et son sceptre à la Vierge et à l’enfant Jésus, en présence d’Anne d’Autriche et de Philippe d’Anjou, Champaigne (1650)

Le tableau fait réagir : l'échange porte sur la soumission du roi à l'enfant Jésus. Il montre l'importance qu'a la religion pour le roi et sa mère et éclaire le contexte de la pièce (même si Louis est encore très jeune sur ce tableau). Il s'agit d'un excellent signe extérieur de respect pour le pouvoir.

5. Marie-Madeleine, Champaigne (1657)

Les élèves découvrent le personnages de Marie-Madeleine : ils essaient de la décrire ("on dirait Jésus") et de comprendre le sens de sa gestuelle ("Elle se protège ses parties intimes"). Le mélange de l'ascèse et de la sensualité ne leur échappe pas...

6. Portrait de Molière, Coypel (1730)

C’est le piège ! Tartuffe, forcément, déteste Molière.

Les élèves travaillent à nouveau en autonomie. La tâche confiée est de compléter ce profil et de débattre, texte à l’appui, des choix effectués, la finalité étant de cerner le caractère du personnage de Tartuffe et de comprendre les enjeux de la pièce. Les élèves doivent absolument distinguer les informations que Tartuffe choisit d’exposer publiquement conformément à son image de « dévot ».

Phase de production

Création des profils Facebook : face(book) à face(book)

À partir de ce travail de défrichage, les élèves créent sur Facebook le profil de Tartuffe : le choix de l'image d'un moine montre leur difficulté à comprendre avec exactitude le statut social de Tartuffe. Mais l'apparence joviale est un moyen de tromper : l'habit ne fait pas le moine...

Les élèves créent aussi ceux des autres personnages de la pièce : Orgon, Dorine, Elmire, Damis, Marianne, Cléante. Ils pourront les faire interagir tout au long de l’étude de la pièce. Il s’agit alors de gérer la page ensemble et d’écrire par groupes les messages qui seraient postés. Le fil de conversation s'amorce à partir des répliques cinglantes de Dorine : "Quand le mensonge prend l'ascenseur, la Vérité prend l'escalier... elle met plus de temps mais elle finit toujours par arriver..." Les productions seront à retravailler et à enrichir au fur et à mesure de l'étude de la pièce.

Les choix iconographiques permettent aux élèves de s'emparer de représentations des personnages dans des mises en scène, du théâtre dévot par le choix d'objets et de décors... 

Créer des faux profils pour démasquer

Le réseau social Facebook, par les jeux d'identité possibles qu'il offre, donne les moyens d'embrouiller l'hypocrite pour lui arracher son masque. Les élèves sont invités à imaginer des stratégies possibles :

- Compte tenu de son rôle de servante dégourdie, Dorine, pourrait ainsi, avec l’aide ou non de Damis, créer un faux profil afin de reproduire de manière plus actuelle le comportement que Molière lui attribuait dans la pièce : celle du personnage « forte en gueule » qui a percé à jour la duplicité de l’imposteur. Quoi de mieux qu’une fausse identité pour soulever le masque de l’hypocrite et susciter le rire en « minant » le mur public de Tartuffe de commentaires acerbes et véridiques ?

- On peut aussi, et cela est imaginable pour le personnage de Damis également, lui faire écrire des messages privés et les envoyer à partir de ce faux profil à Madame Pernelle ou encore aux voisines avides de commérages (citées dans l’acte 1).

- Les élèves rédigeront un avis de recherche de Tartuffe sous la forme d'une fiche de signalement de police qui pourra parvenir sur les comptes Facebook.

Exemples de productions

Les documents suivants, issus de réalisation d'élèves, constituent autant d'idées à piocher dans le cadre d'une activité construite autour de l'usage du réseau social Facebook.

FB - Tartuffe

FB - Tartuffe 2

FB - Dorine

FB - Damis

FB - Marianne

FB - Elmire

FB orgon

FB orgon 2

FB - échanges

FB - échanges 2