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Bibliographies.La démonstration - La culture. 2007

Agrégation interne de philosophie. Session 2007.

Indications de travail, bibliographies et sujets proposés par Hadi Rizk.

Explication de texte : la démonstration.

              On distinguera les divers sens, ou plutôt les différents niveaux de la démonstration. Cette notion s'élabore au sein de la  géométrie ; elle désigne un enchaînement nécessaire des énoncés, de telle sorte que des propositions puissent être  reconnues comme vraies dans la mesure où elles sont liées, en fonction de procédures valides, à d'autres propositions vraies, ainsi qu'à des principes reconnus ou  admis  comme évidents.

              La démonstration se distingue de l'argumentation : elle expose  un processus nécessaire du vrai, c'est-à-dire un pouvoir de l'esprit qui lie de manière apodictique des énoncés.

 Mais la nécessité que l'on prête à la démonstration porte-t-elle sur les liaisons logiques ou sur la vérité, au sens de la signification des propositions et de leur  accord avec la réalité ? En  effet, on peut voir dans la démonstration  une exposition synthétique et  bien ordonnée, où la solidité  des liaisons logiques, comme leur validité,   laissent transparaître  la vérité des choses, que la démonstration  tend à exprimer. Mais on peut aussi interpréter et  réaliser le more geometrico en un sens plus fort, en considérant, par exemple avec Spinoza, la démonstration comme  l'intelligence génétique de la nécessité, selon une causalité immanente à la  pensée : le mouvement interne de la démonstration est à la fois puissance logique et productivité réelle.

L'ordre et l'enchaînement des idées est le même que l'ordre et l'enchaînement des choses : aussi la démonstration est-elle essentielle pour la réflexion de l'esprit humain,  lorsque celui-ci se ressaisit au sein de l'idée  de l'essence de Dieu avec une certaine éternité : «En effet, les yeux de l'Esprit, par le moyen desquels il voit les choses et les observe, ce sont les démonstrations elles-mêmes (Ethique, V, prop. 23, scolie). »  

Mais cette interprétation ontologique de la démonstration risque d'oublier le sens de sa provenance géométrique, avec Euclide,  et de dévaluer la travail des mathématiques, qui se voient accusées  d'avoir recours à des procédés proches de l'imagination, ou liés à la représentation, d'où  résultent la séparation entre  l'idée et son correspondant extérieur, la signification équivoque des définitions en relation avec les ambiguïtés du langage ordinaire, ainsi  que l'allusion plus ou moins maîtrisée de l'intuition à l'expérience. En un mot, la démonstration est marquée par une série de constructions artificielles qui ruinent la logique interne de la pensée, au profit d'une  pédagogie de la conviction,  laquelle reste extérieure   à son objet. 

Sur l'idée que la démonstration  développe la nécessité même du  concept, privilège du discours philosophique comme seule raison effective, Spinoza et Hegel semblent se rencontrer : la démonstration par excellence n'est-elle pas celle de l'idée de Dieu, c'est-à-dire, au fond, de l'identité du rationnel et du réel ?

Cependant, la notion de démonstration ne nous invite-t-elle pas  à réfléchir sur la tension interne qui se fait jour dans le domaine et au cœur de la pratique théorique où elle prend forme ?  La réflexion sur la démonstration, à condition de  s'attacher, dans un premier temps, à la géométrie, est confrontée à deux dimensions du travail mathématique : l'intuitif et le formel.  En effet,  la géométrie a pour objet des idéalités et leurs propriétés tout en déployant un souci de la cohérence et  du discours le plus systématique et clos sur lui-même, discours qu'il doit être possible de formuler grâce à une  syntaxe rigoureuse, qui renvoie aux seules lois logiques,  en excluant  l'évidence ainsi que  le recours à l'intuition.

Que l'on envisage Aristote ou Pascal, mais aussi Leibniz ou Kant, la démonstration n'est pas séparable des difficultés qui la constituent et des  obstacles qu'elle tente de surmonter. Qu'en est-il, dans ces conditions, de la saisie des premiers principes ?  Faut-il faire appel à une appréhension intuitive, distincte de la discursivité, ou à un raisonnement par l'absurde ? De même, on s'interrogera sur le sens de l'indémontrable : évidence première qui excède toute démonstration ou  proposition posée au départ d'un système formel, de telle sorte que la nécessité de la démonstration repose sur le lien logique entre les propositions, non sur la vérité de celles-ci ?  Plus précisément, les axiomatisations montrent que la frontière entre l'indémontrable et le non encore démontré est elle-même mouvante et permet aux mathématiques de repousser  sans cesse les limites  de ce qui n'est pas démontrable, en ouvrant le jeu possible de la pluralité des  systèmes hypothético-déductifs.

Nous essaierons de prendre la mesure des limitations internes que s'impose la démonstration, afin d'étendre  sa propre efficacité, et nous les confronterons aux enseignements du discours philosophique sur la démonstration : il en va ainsi, par exemple, du thème kantien de la démonstration géométrique comme construction  d'un objet dans la forme pure de l'intuition (l'espace). De même, nous chercherons à tirer les conséquences, en lisant l'Opuscule de Pascal sur l'Esprit géométrique, de la complémentarité, en même temps que de la discontinuité - qui interdit toute unification -,  entre les vérités immédiatement données par l'intuition et celles qu'établit discursivement la raison.  Enfin, quelles leçons pouvons-nous tirer de l'axiomatisation et de la formalisation  en cours dans les mathématiques contemporaines, du triple point de vue de l'invention, de l'autonomie et de la fécondité des systèmes rationnels ?  

Conseils bibliographiques.

 Ces indications ne sont pas exhaustives ; elles visent à repérer quelques grands textes qui permettent de formuler les questions-clés.

Platon :  Ménon.
Aristote : Analytiques premiers et seconds. Consulter :
- Crubellier et Pellegrin : Aristote, le philosophe et les savoirs, Points/Seuil, chap. 2, le savoir.
- Gilles-Gaston Granger : La théorie aristotélicienne de la science, Aubier, les chapitres sur le syllogisme et la démonstration.
Sextus Empiricus : Hypotyposes pyrrhoniennes, Points/Seuil.
Descartes : Méditations III et V; 2ndes Réponses aux Objections; Règles pour la direction de l'esprit, 1 à 12; Discours de la méthode, 2ème partie.
Spinoza : Traité de la réforme de l'entendement; Ethique, I, II, IV et V.
Pascal : De l'Esprit géométrique, Préface au Traité du vide.
Leibniz : Nouveaux Essais sur l'entendement humain, surtout le livre IV
Consulter :Yvon Belaval :Leibniz, critique de Descartes, Gallimard, collection Tel, I/ L'esprit de la méthode, chap. 1, II/ Le modèle mathématique, chap. 3, 4 et 5.
Kant : L'unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu, Critique de la raison pure (sans oublier la méthodologie    transcendantale !), Logique, Vrin.
Hegel : Préface de la Phénoménologie de l'esprit.
Cavaillès : Méthode axiomatique et formalisme; Sur la logique et la théorie de la science, Vrin.
Ces deux ouvrages sont assez difficiles.
On lira avec profit le petit ouvrage de Robert Blanché : l'Axiomatique (PUF), ainsi que l'article formalisme et formalisation dans l'Encyclopaedia Universalis. Alain Chauve a publié chez Delagrave une petite anthologie sur la logique et sa signification : cet ouvrage apporte des compléments  utiles.

Dissertation : la culture.


              Il convient d'éviter les pièges et les facilités d'une certaine interprétation de la notion de culture : la vraie et la fausse culture, la culture comme vision du monde, l'opposition entre les anciens et les modernes,  l'universalité du culturel  (qui se confond avec tout ce qui touche à l'homme !), la diversité des cultures, la relativité de la culture, la question du multiculturalisme, la culture et les mœurs, les usages et les coutumes, la culture comme nouvelle religion... Toutes ces approches présentent de l'intérêt mais à condition de leur ajouter  les  questions susceptibles de déterminer l'unité - qui ne va pas de soi -  d'une notion qui constitue un champ de problèmes, et le lieu d'intersection d'investigations très différentes, plus qu'elle n'est  l'objet d'un concept précis. De ce point de vue, un classement et une typologie des significations et des contextes d'une telle notion peuvent être utiles.

              Les lignes qui suivent essaient de préciser quelques bases de réflexion, en justifiant les éléments bibliographiques proposés pour une première approche de la notion.

              Quelle fonction la culture joue-t-elle dans la processus d'autoformation de la réalité humaine ?

              Il s'agit moins de distinguer nature et culture que de comprendre la culture comme le développement de la nature humaine, sa mise en valeur, par l'éducation, la sélection, mais aussi par la  répression, le dressage et  l'aliénation. La culture transforme un certain animal en une réalité humaine, par le jeu de médiations pratiques, sociales  et symboliques. Elle est censée cultiver des ressources déjà présentes mais informes, en inventant un style d'existence individuelle  et collective. Elle se confond, aussi, avec l'héritage vivant d'une tradition sans cesse  reprise et renouvelée : avec la culture, l'homme est fils de l'homme plus que fils de la nature. Mais si la culture s'apparente ainsi au travail de la civilisation, comment évaluer la transformation ainsi engendrée ? Quel sens convient-il de donner aux détours de l'Histoire, qui peuvent s'apparenter au progrès d'une dégradation, d'une corruption, d'une perversion ? Dans cet ordre d'idées, la culture peut renvoyer de manière plus particulière  au souci normatif d'un développement conforme à un certain ordre, ou encore à l'idée d'une formation de l'humain dans la perspective d'une autolibération.

              Dès lors, la culture inclut la crise, la tension, le conflit. Loin de se confondre avec la platitude de significations projetées dans les différents domaines de l'expérience humaine, elle se définit comme un  rapport trouble entre les passions, l'intérêt particulier - qui s'approfondit  en raison calculatrice -, la production et le développement   déréglé des forces et des virtualités, d'une part, et, d'autre part, la constitution d'un monde commun, marqué par le langage, le raffinement, le savoir  et les arts, dans un contexte de rapports d'interdépendance entre individus et groupes.

              Le procès culturel, marqué par le déchirement, appelle ainsi l'arbitrage de la règle. Par conséquent, la culture est au cœur de la genèse réciproque de l'individuel et du collectif, du  particulier et de l'universel ; elle vise une reconnaissance ou une  réconciliation qui  supposent de traverser les oppositions diverses. La culture contient la tragédie, le désenchantement ainsi que le sentiment de l'exil : l'épreuve de l'altérité pousse la subjectivité hors d'elle-même sans lui donner par avance la garantie de se retrouver dans le monde extérieur, dans son œuvre propre ou encore dans une véritable communauté, laquelle implique la division en même temps que  la relation pour pouvoir composer une totalité  véritable.

              Nous pouvons donc former  trois hypothèses :

1)      la culture se rapporte à la  destination d'une nature humaine perfectible, ayant vocation à un développement historique de ses possibilités :  elle est ce  chemin étroit qui distingue invention de soi et perte de soi ; la culture comme transition entre la nature et la morale ;

2)      la  culture est une extériorisation de la raison :  les différents plans de la culture (langage, science, art, mythe...) manifestent  une objectivation de la raison, une expression du rationnel  qui se réalise dans le monde, ce qui n'exclut en rien le travail, le conflit et la perte de sens  ;

3)      la culture est le moteur du processus de civilisation, de sélection  et de normalisation de l'homme :  elle est par cela même une  création de valeurs ; la culture comprend un mélange de dressage et d'élevage qu'il convient d'évaluer pour tenter de comprendre le malaise qu'elle provoque.

              Ces remarques contribuent à la compréhension du sens anthropologique   de la culture. En effet, quel est le fondement de la pratique et de la totalisation qui sont à l'œuvre dans les formes et les  processus d'individuation inventés par la culture ?

              Il convient ici de connaître et de mesurer  l'apport du langage et de la linguistique, qui constituent, selon Lévi-Strauss, la matrice de toute culture ainsi que le principe d'intelligibilité, indépendant de  la subjectivité ou de la conscience, des phénomènes de sens.

              La question de la diversité des cultures, du rapport entre les cultures ("multiculturalisme" ou "monoculturalisme pluraliste") nous invite à étudier et à critiquer le concept scientifique de la culture que tentent de former les sciences humaines. En effet, le caractère objectif de la culture, définie comme la relation signifiante  des hommes à eux-mêmes et à leur entourage, ne peut être expliqué par les seules structures qui articulent la culture et ses manifestations (qu'il s'agisse des règles de la parenté, du sens des mythes ou de l'organisation des pratiques) : il apparaît nécessaire de mettre en rapport la formation des cultures et des réseaux de signification avec la compréhension du mouvement signifiant de l'existence elle-même.

              Rapport à soi et pratique de soi, ce mouvement n'est autre que celui de la praxis comme sens et totalisation, qu'il faut retrouver à la source de toute universalité concrète.

Conseils bibliographiques.


Cette bibliographie n'est pas exhaustive. Elle vise seulement à préparer quelques grandes distinctions conceptuelles utiles à la réflexion sur la culture.

              Découvrir pour le plaisir de la lecture l'ouvrage de Marcel Detienne : Les Grecs et nous, essai d'anthropologie comparée (Perrin)

              Platon : Protagoras, Gorgias. Sur la question sophistique. Consulter aussi l'ouvrage très riche de Henri Joly : Le renversement platonicien (logos, epistémè, polis), Vrin, voir en particulier, la 4ème partie, Polis et nomos. Le livre montre comment la pensée de Platon s'inscrit dans un moment de crise de la culture grecque.        
Ernst Cassirer : La philosophie des Lumières, Agora/pocket.
Diderot : Supplément au voyage de Bougainville, Lettres sur les Aveugles à l'usage de ceux qui voient, Le neveu de Rameau.
Rousseau : Discours sur les sciences et les arts, Discours sur l'origine de l'inégalité, Essai sur l'Origine des langues, Emile. Consulter les notices de l'édition Pléiade. Lire le texte de Ernst Cassirer : Le problème Jean-Jacques Rousseau, Hachette, Textes du XXème siècle.
Kant :  Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, Conjectures sur les débuts de l'Histoire humaine,  Sur l'usage des principes téléologiques en philosophie, Compte rendu sur l'ouvrage de Herder : Idées sur la philosophie de l'histoire de l'humanité, Critique de la faculté de juger, § 82-84, surtout le § 83, Anthropologie du point de vue pragmatique.
Herder : Histoire et cultures, une autre philosophie de l'Histoire, textes rassemblés par A. Renaut, GF, n° 1056.
Hegel : Phénoménologie de l'esprit ;  l'Esprit ; l'esprit devenu étranger à soi-même, la culture.
Principes de la philosophie du droit : § 187.
Nietzsche : Considérations inactuelles, Généalogie de la morale, Par-delà bien et mal.
Cassirer : Philosophie des formes symboliques, tomes  1 et 2 (le langage, le mythe), éditions de Minuit.
Husserl : La crise de l'humanité européenne et la philosophie (conférence de Vienne),

              Consulter  aussi La crise des sciences comme expression de la crise radicale de la vie dans l'humanité européenne dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

Lévi-Strauss : Tristes tropiques, Plon, Anthropologie structurale, Plon, tome 1, les sections langage et parenté, organisation sociale,  magie et religion, tome 2, regarder surtout la section vues perspectives, lire absolument le texte sur  Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l'homme.

              Une lecture à ne pas oublier : Freud, Malaise dans la culture, Quadrige/Puf.

              Une lecture stimulante : Michel de Certeau, La Culture au pluriel, Points/Seuil.

              Une lecture exploratoire : le livre récent et très ambitieux de Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard.

Premiers sujets

              A/ La démonstration :  explication de texte.

1) Sextus Empiricus :  Esquisses pyrrhoniennes, traduction Pellegrin, collection Essais, édition bilingue, Points/Seuil, livre II, section 13, §§146 à 150, depuis «Les dialecticiens disent qu'un raisonnement est non concluant...» jusqu'à  «...mais la conséquence "donc il fait jour" est fausse».

              Il est souhaitable de lire au préalable la section 12 et de ne pas ignorer la problématique d'Aristote dans les Analytiques.

2) Descartes : Méditations métaphysiques, Méditation cinquième, 7ème §, du début "Or maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée...» jusqu'à la fin de l'alinéa suivant «...comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes».

3) Pascal : De l'Esprit géométrique, depuis «De là vient que si cette science ne définit pas et ne démontre pas toutes choses, c'est par cette seule raison que cela nous est impossible...» jusqu'à «... ce manque de preuve n'est pas un défaut mais plutôt une perfection.»

4) Hegel : Préface de la Phénoménologie de l'esprit, édition bilingue J.-P. Lefebvre, GF, § 43-44, «Dans la connaissance mathématique, la compréhension par l'intelligence est une activité...» jusqu'à «... c'est une fin extérieure qui régit ce mouvement».
On peut évidemment lire le texte dans l'édition Hippolyte ; il est souhaitable de connaître  la page précédente (§42) qui traite de la démonstration des vérités mathématiques.

              B/ La culture : dissertation.

Peut-on considérer la culture comme  une dénaturation  ?
Les frontières de la culture.
La culture est-elle une extériorisation de la raison ?