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Analyse de tableau : "pipes et vases à boire ou la tabagie" de Jean-Baptiste CHARDIN

Huile sur toile de Jean-Baptiste CHARDIN " La tabagie dite pipes et vases à boire"

 

 

 

CHARDIN Jean-Baptiste - La Tabagie dite Pipes et vase à boire
Huile sur toile, 32x40 cm, 1740, musée du Louvre, Paris.

Source de l'image : Musée Critique de la Sorbonne

Questionnement

Inventoriez les objets représentés sur la toile. Qu’ont-ils en commun ? Peut-on identifier les objets facilement ? Sont-ils datés ?
Quelles indications ces objets nous fournissent-ils sur leur propriétaire ? (appartenance à une catégorie sociale, tempérament, style de vie…)
Quelle atmosphère se dégage de cette toile ?
Comment sont disposés les différents éléments qui constituent le tableau ?
Comment peut-on justifier le fond monochrome ?
Quelles sont les grandes lignes de composition de la toile ?
En quoi cette nature morte diffère t’elle de celles que nous avons l’habitude de voir ?
Commentez le choix des formes, des volumes, des couleurs. Quel est l’effet voulu ?
Observez l’éclairage. Qu’apporte la lumière à la scène ?
Où s’est placé l’artiste par rapport à son sujet ? pour quelles raisons ?
Pouvez- vous justifier le choix du thème ?
Cette œuvre témoigne t’elle de son époque ? que nous dit-elle ?
S’agit-il d’une œuvre purement décorative et descriptive, ou bien y voyez-vous quelque chose de plus profond ?
Après analyse, le jugement qu’on peut porter à cette œuvre est-il le même qu’au début ?

Inventaire de la toile

Un coffret,  un pichet, une tasse avec son couvercle, un gobelet en métal, une pipe peu ordinaire, un verre rempli de mousse, sur la gauche une fiole ou petite bouteille, une autre pipe à gauche. Tous ces objets sont disposés sur un entablement de pierre. Cet ensemble d’objets nous renvoie à un univers masculin. Tabac et boisson s’inscrivent, à l’époque plus nettement encore qu’aujourd’hui dans la vie quotidienne, dans la sphère de l’intime et l’espace de détente de tout homme du 18ième siècle.
Lorsque l’on connaît la vie du peintre, on comprend que ces objets lui appartiennent et nous parlent donc de lui. Les objets, s’ils sont identifiables, semblent datés d’une époque éloignée. Coffret , tasse à couvercle, objets en étain, nous renvoient loin dans le temps. Ils nous parlent d’un propriétaire aisé mais non d’une grande richesse. Les objets sont de belle qualité mais non luxueux..ils s’inscriventDans l’univers de la bourgeoisie du 18ième, attachée à son aisance mais défiante à l’égard de l’ostentation. Tout ici suggère le confort et la discrétion. On sent un homme attaché aux objets qui nous livre une parcelle de lui-même.
Ce tableau est peut-être aussi un témoignage sur la petite bourgeoisie de son temps. Comme dans une grande partie de l’œuvre de Chardin, le peintre a choisi des objets du quotidien : coffret à tabac, pipes, pot, gobelet s’inscrivent dans l’environnement ordinaire de tout bourgeois de l’époque. Ce sont des objets fonctionnels qui n’offrent pas  de message religieux ou de portée symbolique comme habituellement dans les natures mortes. On y trouve même pas cet intérêt décoratif, cette richesse ornementale des natures mortes flamandes et hollandaises destinées à décorer les intérieurs bourgeois cossus ? N’oublions pas que le temps a raréfié ces objets et nous les a rendus précieux. Les contemporains de Chardin n’y voyaient que de simples objets  fonctionnels. Il est admis au 18ième  que la beauté d’une œuvre tient essentiellement à celle du sujet qu’elle propose. Chardin a fait le choix de peindre des objets du quotidien. « l’objet humble et la plus grande simplicité permettent la plus grande présence de l’artiste » Malraux.
Le tableau dégage une atmosphère silencieuse, ouatée, loin de la fureur du monde. La toile fait appel à nos sens : ouie, goût, vue, toucher. Le cadrage rapproché nous incite à apprécier les objets, à humer l’odeur du tabac, celui du chocolat, à vider ce verre mousseux… Il y a une sollicitation des sens. L’œuvre nous parle du calme d’un foyer, à l’aspiration à la tranquillité d’un homme qui a besoin de son environnement pour se ressourcer. Ceci est corroboré par la tonalité assourdie pour ne pas dire terne du tableau.( brun, blanc cassé, bleu doux…) il y a une harmonie chromatique en adéquation avec les objets choisis. La disposition des objets ne laisse rien au hasard.

Composition

La composition est étudiée pour contribuer à l’effet général d’équilibre et d’harmonie. Il y a une mise en scène. Pour donner l’idée de profondeur on note un étagement des plans successifs. De plus le regard est guidé : la ligne oblique forte du tuyau de la pipe nous attire dans l’angle inférieur gauche de la toile, d’où vient la lumière. C’est aux lignes géométriques de la composition que nous devons ce sentiment de rigueur et de stabilité. A l’intérieur de la toile le peintre a amorcé un second cadre formé par la table de pierre et le décrochement vertical du mur, sur la gauche ; un cadre lumineux qui met en valeur les objets et explique qu’il ait vu dans leur composition la matière d’un tableau. La lumière fait miroiter les objets : miroitements de la petite fiole, de son gobelet métallique, brillance de l’angle arrondi du bois, jeu des ombres sur la table. Chardin nous fait aussi prendre conscience de la durée. Peindre c’est saisir l’instant et c’est la lumière qui confère au tableau cette dimension de célébration : le peintre a su capter l’éphémère grâce a l’intensité de son regard.

La mise en scène dicte la mise en œuvre

L’un des buts de Chardin est de saisir un instant de grâce, de nous communiquer la présence des objets et leur authenticité. Cette communication va passer par le choix minutieux des couleurs. Fils d’un ébéniste qui lui a donné le goût des beaux objets et des belles matières, le peintre dans son domaine a le souci de travailler la couleur matière (les Goncourt parlaient de «sa touche beurrée, de son pinceau gras dans la pleine pâte») les bruns chauds répondent au coloris taupe du fond. La monochromie de ce fond permet la mise en valeur des autres couleurs : il joue sur les valeurs des bruns et leur contraste (froid et chaud). Le blanc cassé irradie de sa masse la toile ; se répondent en écho A ce blanc éclatant, la mousse sur le verre et les miroitements sur les objets. Les grandes lignes de composition sont définies par des horizontales, des verticales (le pichet, la paroi du mur à gauche) et des obliques qui permettent au regard de circuler.

Les intentions de l’artiste

C’est par le regard et le travail de l’artiste que de simples objets sont métamorphosés en œuvre d’art. c’est une idée très novatrice. De plus, la valeur marchande  d’un objet n’est pas l’essentiel mais bien la contemplation qu’elle procure à son possesseur. Chardin peint un moment de détente et de disponibilité : ceci est confirmé par l’ouverture des différents objets, coffre tasse…mais aussi un moment d’intimité et de bonheur simple. Le bonheur n’est pas de vouloir refaire le monde mais tout simplement de le regarder. Il nous parle  aussi d’individualisme et de méditation, de droit au bonheur de chaque homme et de chaque femme. On pourrait y voir également une corrélation avec le traité des sensations de Condillac de 1754 qui affirme  que c’est par nos sensations que nous prenons connaissance du monde extérieur.

Analyse : Michel DESCHAMPS - Conseiller Pédagogique en Arts Visuels