Interview de Philippe ADRIEN par les 6e A et B

Questions à Monsieur Philippe ADRIEN,

Metteur en scène du Bizarre incident du chien pendant la nuit de la part des 6ème A et B du Collège Paul Verlaine

 

-      Comment l’idée de cette pièce vous est-elle venue ?

Une comédienne, amie, racontait au bar de la Tempête la représentation du Bizarre Incident à New-York. Elle était absolument enthousiaste et a su éveiller ma curiosité ; dès le lendemain, avec mes collaborateurs, nous nous sommes préoccupés de la question des droits de représentation et avons pris une option dessus. Ce qui a joué au départ c’est donc ma curiosité, mon envie de présenter une œuvre inédite à Paris et même dans l’Hexagone ; tout ce que j’avais entendu me semblait séduisant et passionnant.

 

-      Pourquoi avez-vous choisi des moments de danse pour raconter certains moments de l’histoire ?

Je dirais plutôt « pour animer autrement ». Nous avons pensé que, dans le milieu où évolue Christopher, dans son école, on travaille bien sûr intellectuellement mais aussi physiquement, pour délier les embarras des élèves. Il y a l’idée que nous sommes dans le lieu où tous ces jeunes s’exercent. On passe un peu au travers puisqu’il nous fallait des acteurs qui ne soient pas seulement des enfants ; mais le lieu est suffisamment évocateur d’un local où on s’exerce physiquement. Le dynamisme des mouvements dansés fait du bien à l’idée que se font encore aujourd’hui les spectateurs du théâtre « qui parle »… Il y a aussi le corps et le mouvement.

 

-      Comment vous est venue l’idée de mêler l’histoire de Christopher comme dans le livre, à la pièce jouée pour l’école de Christopher?

Cette idée de mêler les différents temps du récit participe sans doute du projet de « faire un peu travailler » et réfléchir  le public. Avec un récit oral – un conte -, avec un roman on peut faire une pièce de théâtre, un récit à une voix (monologue) et pourquoi pas un film. Le parti pris des adaptateurs de la pièce – ils sont partis du roman – est de mêler plus ou moins ces différents aspects. On est vraiment plongé dans le mouvement, justement, de la création d’une pièce de théâtre d’un genre assez différent. C’était une bonne occasion d’introduire le public à des questions qui, généralement, ne sont pas posées sur la scène parce que, le plus souvent, on va directement au résultat : l’histoire. Là, Christopher et Siobhan font tout ce qu’ils peuvent pour nous mener au cœur de l’acte de création. Mais, encore une fois, c’est une idée des adaptateurs eux-mêmes. Tant mieux, à leurs yeux, si le public se trouve un tout petit peu décontenancé…

 

-      Avez-vous aimé le livre Le Bizarre incident du chien pendant la nuit ? Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous l’avez lu ? Quel moment vous plait vraiment et aviez-vous vraiment envie de le voir sur scène ?

J’ai bien aimé le livre, mais je me suis précipité sur l’adaptation car c’était cette possibilité de théâtralisation qui m’importait et je voulais voir comment les Anglais s’y étaient pris. J’ai très vite considéré le texte de la pièce comme l’œuvre originale. Oui, je me suis intéressé à mettre en scène ce que je venais de découvrir, y compris les choses qui, à la lecture, paraissaient impossibles, le métro par exemple. Je suis tout de même étonné que la pièce se joue et que nous en ayons mis à jour la cohérence.

 

- Combien de temps avez-vous mis pour créer cette pièce ? Combien de temps ont duré les répétitions ?

Nous avons travaillé environ cinq semaines sur la réalisation de la pièce dans tous ses aspects : comédiens, lumières, sons, musiques et mouvements.

 

-      Combien y a-t-il d’acteurs pour combien de personnages ? Pourquoi faire jouer à un acteur plusieurs personnages ?

Il n’y a que neuf comédiens mais une trentaine de personnages, il fallait donc qu’ils se partagent la tâche.

 

-      Quel est votre rôle au Théâtre de la Tempête ? Que vouliez-vous faire quand vous étiez enfant ? Vos pièces sont-elles jouées ailleurs ?

J’essaie de coordonner au mieux tout ce qui concerne les choix de programmation - pièces crées à la Tempête, pièces invitées - entre les différents désirs et propositions que nous avons ou recevons.

Au départ, mon envie était de devenir comédien, mais les circonstances et mon évolution m’ont conduit, si on peut dire, derrière la « caméra ». J’ai toujours suivi la pente de mon plaisir.

 

-      Comment Christopher faisait-il pour monter et descendre l’escalator ? Le rat était-il vivant ?

En fait c’est très simple, derrière le mur il y a deux escabeaux et Christopher se débrouille, de manière inattendue, pour passer de l’un à l’autre, c’est là tout le sel de ce passage : les surprises qu’il arrive à nous faire. Tout d’un coup, cet escalator monstrueux devient une petite machine d’un cirque imaginaire pour enfants.

Le rat n’est pas vivant, les rats sont très fragiles émotionnellement et, avec un traitement pareil, il en mourrait un à chaque représentation.

 

-      Est-ce que l’acteur de Christopher portait des lentilles (j’aime beaucoup son regard) ? Est-ce que c’était facile de gérer les lumières dans la pièce ?

Pas de lentille pour Christopher, c’est son propre regard.

Les lumières ou éclairages sont crées à la fin des répétions, puis enregistrés et stockés dans une machine – un jeu d’orgue – informatisée ; ensuite, tout est minuté et les projecteurs s’allument et s’éteignent au moment adéquat.

 

-      Quels conseils pourriez-vous donner à quelqu’un qui voudrait faire du théâtre ?

« Aimer et admirer, admirer et aimer » disait Jouvet.

 

-      Vous êtes-vous plus inspiré du livre ou de la pièce anglaise ? Avez-vous repris quelque chose de la mise en scène qui existait déjà ?

Nous n’avons rien repris de ce que nous avons vu avec un de mes collaborateurs, à Londres, mais ce que nous avons vu nous a permis d’aborder une réflexion complémentaire.

 

-      Est-ce que les acteurs sont spécialisés dans certains rôles ?

En l’occurrence, d’une représentation à l’autre, les acteurs ne changent pas de rôle, ils ont été, comme on dit, « distribués » chacun, à part Christopher, dans différents personnages, et ça n’a pas de raison de bouger jusqu’à la fin des représentations de cette série en cours. Si la pièce part en tournée, il peut arriver qu’on change certaines choses.

 

-         Comment faites-vous bouger les murs sur scène ? En quelle matière sont-ils faits ?

Pour bouger les murs, on pousse à vue ou en se cachant. Si on se cache derrière le mur, c’est plus « magique », le mur a l’air de bouger tout seul. Ils sont en polystyrène mais la base est en métal avec des roulettes.

 

-      Comment avez-vous été certain de trouver les bons acteurs pour chaque rôle ? Avez-vous un acteur que vous aimez particulièrement ?

On n’est certain de rien, la création en général est une aventure et on peut se tromper. Le plus souvent, je travaille avec les mêmes acteurs parce que j’apprécie leur talent et aussi parce que je les connais et les aime bien.

 

-      Est-ce difficile de jouer le rôle de Christopher ?

Jouer Christopher, en effet, bonjour la difficulté. Ne jamais quitter le point de vue, entrer dans l’intimité du personnage et, cependant, avoir la main légère et délicate.

 

-      Pourquoi faire faire à Christopher des « vagues » avec les mains et des déplacements saccadés ?

Ah des vagues, oui j’imagine que c’est quand il est à Poltero avec sa mère. Eh bien oui, pour évoquer l’océan, les comédiens qui sont en scène font une sorte de mime de la mer. En ce qui concerne Christopher, il nous a paru intéressant que ce qui se passe dans son esprit se traduise en mouvements. Au lieu d’en faire un autiste embarrassé physiquement, qu’il y ait en quelque sorte des « breaks » pour passer dans cet autre registre parfois virtuose… En effet, c’est très prenant.

 

-      Est-ce que l’acteur comprend tout ce qu’il dit sur les mathématiques ? Est-ce que vous comprenez tout ce que Christopher explique ?

Connaissant bien le jeune homme, je ne crois pas qu’il comprenne absolument tout ce qu’il dit en mathématiques, mais petit à petit ça rentre et peut-être a-t-il un manuel de maths sur sa table de chevet. Quant à moi, je n’y comprends rien, j’étais un très mauvais élève en matières scientifiques, c’est dommage.

 

-      Comment les acteurs se repèrent-ils quand ils sont dans le noir ?

Pour commencer ils y vont à tâtons puis ils s’habituent.  

 

-      Dans la scène du métro, pourquoi avez-vous choisi de faire que les personnages n’interviennent pas pour sauver Christopher ?

Ce n’est pas moi qui ai fait le choix que le jeune punk – oui le couple est défini comme « punk » - n’ait pas le courage de se précipiter au secours de Christopher. Sur le moment on est partagé entre le rire et la peur ce qui est parfait et comme Christopher parvient à s’en tirer tout seul c’est encore mieux.

 

-      Comment vous est venue l’idée que Christopher vienne dans le public ?

Nous n’avions pas en scène les moyens de figurer un quai de métro : juste deux murs. Très vite l’idée de descendre dans le public m’a semblé active et dynamique. Le creux en bas de la scène, la fosse, pouvant tout à fait être assimilée à la tranchée dans laquelle sont les rails. Ca s’est révélé très efficace surtout du reste parce que le public est toujours troublé et peut-être flatté d’être mêlé de très très près à l’action. C’était au départ un choix de commodité mais cet aspect de friction entre scène et salle a apporté un plus.

 

-       A qui est le chien de la pièce ?

La régisseuse générale a acheté cette petite chienne qui lui plaisait, heureusement puisque c’est elle qui s’en occupe.

 

-      Combien de classes d’enfants avez-vous eu pour assister à la pièce ?

Nombre de classes d’enfants disons de jeunes ont assisté au spectacle. Plusieurs centaines.

 

-      Comment font les acteurs pour ne pas rire quand le public éclate de rire ?

Celui qui provoque sciemment un rire a toujours intérêt quant à lui à se retenir, si non il gâte son effet et c’est raté.

 

-      Comment les acteurs se changent-ils aussi vite ?

En coulisse c’est la course pour effectuer ces changements rapides mais on n’imagine pas à quel point ça peut aller vite si c’est bien réglé. Au théâtre nous aimons aussi ces performances purement pratiques.  

 

-      La femme rockeuse est-elle Mme Shears et la directrice ?

En effet, Mireille Roussel joue la femme rockeuse ou punk ainsi que Mme Shears et la directrice. D’autres petits personnages aussi.

 

-      L’acteur est-il lui-même autiste ?

Pierre Lefebvre n’est pas autiste, il joue à l’autiste. Mais le terme de jeu est ambigu et trompeur. C’est un jeu très sérieux et sincère, c’est la visée première du jeu dramatique pour que les spectateurs puissent y croire.

 

-      Certains décors sont à imaginer : comment êtes-vous sûr que les spectateurs vont bien comprendre ?

Nous ne sommes pas sûrs que tout le monde va comprendre mais nous faisons tout pour mettre notre public sur la voie de deviner ; la conviction et l’authenticité intérieure doivent susciter la croyance. Il n’y a pas d’arbre mais l’acteur et l’actrice en s’embrassant imaginent qu’ils sont sous des frondaisons et même sans que l’arbre soit nommé – un saule - on doit pouvoir l’imaginer ou en ressentir la présence.

 

-      La scène du train : comment avez-vous pensé à faire cette scène comme ça, en mouvement ? Avez-vous eu du mal avec cette scène ?

Le train oui c’est difficile. Primo, un train circule dans un seul sens et je me fie toujours au sens de l’écriture. Je fais donc circuler le train de gauche à droite ce que nous appelons de jardin à cour (JC comme Jésus – Christ, c’est le moyen de se souvenir). Au milieu de tout ça on s’est amusé à contre faire certains rythmes et attitudes du cinéma muet. On commence par essayer en évitant de censurer les propositions des comédiens et petit à petit ça s’améliore et on sélectionne ce qu’il y a de meilleur. Ensuite on raccorde et puis le son, la lumière et la musique arrivent et là OH ! Miracle il y a un train. Le jeu s’anime et trouve enfin ses couleurs, la « pantomime » devient plus cocasse, plus singulière. Il y a un léger déplacement dans le temps. On a l’impression d’être transporté au 19ème siècle lors des premiers voyages en chemin de fer. J’aime bien ces aspects d’insolite qui peuvent paraître à certains peu réalistes mais en fait le théâtre doit se situer aussi bien dans une dimension mentale que dans la réalité.

 

-      Le fait de trembler ou d’être en crise pour l’acteur principal n’est-il pas éprouvant ?

Ca peut être éprouvant si le metteur en scène insiste trop pour obtenir des affects ou un pathos qui lui paraissent enfin suffisant. C’est au comédien d’en juger, de voir lui même s’il doit et peut aller un peu plus loin dans l’expression de sa souffrance sans pour autant se mettre à mal. Tout cela se fait peu à peu sans forcing aussi bien physiquement qu’émotionnellement. L’interprète doit être placé en position responsable. C’est lui qui joue avec son esprit, son corps, ses larmes ou ses tremblements …

 

-      Pourquoi avoir choisi de faire monter le train à Christopher lorsqu’on entend sa mère dans sa lettre ? Pourquoi sa mère est-elle assise sur scène sans bouger à ce moment-là ? Pourquoi Siobhan reprend-elle la parole à ce moment là avec elle ?

Eh bien oui, il fallait un moment d’un seul tenant et assez long pour que le train électrique puisse être monté tandis que l’action se poursuivait. Pour avoir interrogé quelques personnes à ce sujet j’ai cru deviner que lorsque l’action concrète se déroule les spectateurs ne se rendent pas compte de ce qui est entrain de se faire. Quant à Judy, la mère, elle est censée écrire une lettre – ce dont nous avons évacué tout signe extérieur – elle n’a pas de raison de bouger. Là aussi nos auteurs ont tenté une manœuvre un peu risquée c’est à dire donner quelques phrases de la lettre de Judy à Siobhan, qu’on pourrait dire occuper tout du long la position d’une narratrice, lui donner quelques phrases de la lettre. Comme si, entendant le texte de Judy, Siobhan s’identifiait à elle. Comme si toute femme pouvait s’imaginer en mère de Christopher. C’est là une variante de la fonction du chœur : le chœur c’est nous tous. Nous pouvons tous nous imaginer être Judy.

 

-      La fin de l’histoire est plus drôle que dans le livre, pourquoi avez-vous fait ce choix ? Avez-vous eu du mal en lisant la fin du livre ?

Encore une fois j’ai été dans cette création du Bizarre Incident plus modeste que je ne le suis d’habitude. Je me suis méfié de m’éloigner des choix de Mark Haddon et Simon Stephens qui, je suppose, se sont donnés le temps de réfléchir et de choisir leurs options. C’était fait, je n’ai pas voulu y revenir.

 

-         Pourquoi faire venir Siobhan lorsque Christopher est à Londres, dehors, la nuit ?

On est à Londres dans la nuit. On voit le ciel d’une grande métropole, il n’y pas beaucoup d’étoiles visibles, l’éblouissement vient de Siobhan qui apparaît à Christopher comme une figure de rêve. Il voudrait la retenir mais sa mère remplace la jeune éducatrice et le rappelle à la réalité présente. Londres et son désir lancinant de tenter sa chance au A-level.

 

-      La pièce a-t-elle toujours autant de succès qu’avec nous ?

Oui oui !! Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit est une affaire qui roule.

 

- On a adoré !!!

MERCI !