Journal de voyage à Auschwitz - Mémoire vive

Journal de voyage à Auschwitz -  Mémoire vive

 Les nazis voulaient une extermination massive après laquelle rien ne devait subsister. Ni traces, ni témoins, ni documents. Une extermination totale qui eut emporté jusqu'à la mémoire elle-même.
Mais la mémoire a résisté. Elle a changé le regard que nous portons sur le monde contemporain. Les états européens ont fondé de nouvelles relations. Génocides et crimes contre l'humanité ont acquis une réalité juridique.
La mémoire a subsisté. Les SS ont scrupuleusement démantelé les installations homicides et la forêt a repris ses droits. Mais ils n'ont pas eu le temps de détruire totalement le complexe de mort industrielle installé près de la petite ville polonaise d'Oswiecim, en Pologne, à quelques kilomètres de Cracovie. Plus d'un million de personnes y furent assassinées.
La mémoire doit rester vive. C'est la responsabilité des états de veiller à ce que l'école perpétue le souvenir. À chacun de nous de veiller à ce que jamais il ne s’efface. Ne jamais oublier pour que la « bête immonde » ne renaisse pas de ses cendres. C'est le sens de notre voyage à Auschwitz.
Inutile de cacher notre fierté. Celle d'avoir été sélectionnés pour participer au « voyage de la mémoire » organisé par le Mémorial de la Shoah et la Région Île de France.
Ce voyage est avant tout une aventure collective réunissant
les élèves de la classe de première ES et deux enseignants, avec le soutien sans faille de Mr le proviseur.

 Initialement prévu en décembre 2015, il a été décalé dans le temps en raison des attentats qui ont frappé la capitale le 13 novembre. Ces événements tragiques nous rappellent que les fanatiques et les criminels sont toujours là.

 Ce court journal écrit à la première personne reprend les notes prises au fil des jours.

 

Récit de voyage...

  Décembre 2015

 Le fil rouge de nos recherches sera bien Dora Bruder, cette jeune fille raflée dans le 18éme arrondissement et morte à Auschwitz. Elle est devenue l'héroïne du très beau roman de Patrick Modiano paru en 1997.

 Elle a vécu et a hanté le quartier de la porte de Clignancourt où se trouve le lycée Rabelais.

 01Comme dans le livre de Modiano, nous partons sur les traces de Dora. C'est un étrange aller-retour entre le passé et le présent. 1940... 2015....

  •   Un premier groupe se charge de collecter des documents aux archives du Mémorial de la Shoah (photos et articles de Modiano...). En cherchant sur la base de données, le groupe va trouver le récit détaillé du convoi 34 qui partit de Drancy le 18 septembre 42 pour emmener Dora vers Auschwitz.
  •  Un deuxième groupe fait des repérages dans le quartier Clignancourt (Boulevard Ornano, mairie d'arrondissement et porte de Clignancourt).
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  •   Un troisième groupe se dirige vers la caserne des Tourelles sur les boulevards extérieurs. C'est là que les nazis regroupaient les femmes raflées et les individus déclarés « asociaux ». La caserne n'a pas changé : elle est occupée par les services de renseignements français (caméras, barbelés et portes blindées...).

  10 Janvier 2016

  Visite à Drancy. Les immeubles de la cité que les nazis ont transformée en camps de transit sont toujours là. Un monument appelle les passants à ne jamais oublier.

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 Au musée du souvenir, les vidéos nous replongent dans l'horreur de ce camp à ciel ouvert aux portes de la capitale.

  15 Janvier 2016

  Visite du Mémorial de la Shoah. La classe est très attentive, tétanisée par certains documents présentés. Minute de silence très émouvante dans la crypte.

  20 Janvier 2016

  Départ à 4h15 du matin. Direction Roissy Charles De Gaulle.

 Arrivée après deux heures de vol à Cracovie dans un aéroport ultra moderne. A travers les vitres du car, on découvre un paysage monotone, ciel gris, forêts de bouleaux et maisons à l'architecture des années cinquante. Le camp est annoncé par notre guide, invisible, comme une menace.

 Nous descendons non loin de la rampe de sélection. Des rails, un vague quai et des wagons. Sur ce terrain vague les SS faisaient le tri des vivants. A quelques mètres de là, des polonais ont construits des maisons. Leurs gamins ont une vue imprenable sur le camp. Stupéfaction et douleur... On ne fera pas de commentaire.

  Il fait moins dix. On se souvient de la remarque de l'écrivain Chalamov : le froid est bien le meilleur allié des bourreaux.

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  Au loin, on aperçoit le bâtiment du portail principal et du corps de garde de Birkenau, la porte de la mort. Il neige et le vent glacial est insoutenable. Les barbelés, les miradors et les baraques du camp à perte de vue montrent toute l'étendue du système concentrationnaire nazi. Comme le dit très bien Simone Veil, il ne manque que les cris et les hurlements. On aimerait pouvoir se perdre et rentrer dans n'importe quel bâtiment encore debout. Mais le circuit est bien balisé. On se dirige vers les chambres à gaz effondrées et la clairière des bûchers. Sur un panneau on aperçoit une photo, prise à la volée en 43. Soixante-dix ans après les arbres sont toujours là. Silence pesant.

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 Discours rapides et minute de recueillement devant le monument érigé pour rendre hommage « aux victimes du fascisme ». Les dalles de marbre reprennent la terminologie des libérateurs de l'armée Rouge. Si 900 000 juifs y ont été exterminés, Auschwitz est aussi le tombeau de 75 000 polonais, de 21 000 tziganes et de 15 000 prisonniers de guerre soviétiques.

 Pause et départ en car pour Auschwitz II. C'est une autre ville avec ses blocs, ses places et ses maisons en briques rouges. On visite des cachots, on devine les centres de torture et on s'incline devant une potence. On nous indique la porte de « l'hôpital ». On attend avec une certaine impatience de découvrir le pavillon français. Une salle évoque les combats de la Résistance, mais aussi Pétain et Vichy. Et parmi les cinq parcours de déportés, dont celui de Georges Halpern gazé à 9 ans, plusieurs rappellent le zèle ignoble des collaborateurs français.

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 Le grand grenier des nazis en guerre est une dernière image choc. Ces montagnes de cheveux, de lunettes ou de valises impressionnent les élèves, dont certains prennent des notes ou des photos. Un peu plus loin, on aperçoit des fours crématoires hors d'usage et un boyau en béton.

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 Quand nous sortons la nuit est déjà tombée. Les projecteurs sont allumés. Rien ne devait échapper aux regards des gardiens.... La neige semble adoucir les ténèbres du camp. Je m'éloigne un peu du groupe pour regarder. Je me souviens des images de « Nuit et brouillard ». C'est vraiment un moment étrange, glacial. Il faut partir vite.

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  François Buot, professeur d'histoire / première ES

 

 26 Janvier 2016

 

 Chaque élève raconte son voyage.

 Quelques extraits choisis :

  «  On n'efface pas, on garde en mémoire les témoignages. On les transmettra pour que les erreurs du passé ne se reproduisent pas. » Fiorella Meyeur

  «  Le camp d'Auschwitz ressemble à une véritable usine, une sorte d'abattoir humain » Zacharie Daboussi

  «  Ce voyage à Auschwitz m'a ouvert les yeux sur la réalité de la déportation, le crime nazi. » Louise Deveaud

  «  Seuls les pins résistent. Ils entourent cette immense zone de déroute. Ce sont les seuls témoins du temps passé, des erreurs tragiques du passé. Gardons nous aussi, la mémoire. » Paul Musset

  «  Malgré le vent glacial qui a giflé mon visage, ce voyage fit prendre conscience de la violence inouïe et de l'inhumanité des responsables de ce génocide. Ce qui m'a le plus interpellée ce sont les centres de mise à mort. Pour y accéder, il faut descendre dans un sous-sol, comme on descend vers la mort. » Hawa