Chapelle expiatoire

A deux pas du lycée Racine : la Chapelle expiatoire, un lieu méconnu

Dans le cadre du nouveau programme d’Histoire et du thème : « L’Europe entre révolution et restauration », cette visite nous éclaire sur comment la mémoire révolutionnaire a pu être transmise du début du XIXe siècle à aujourd’hui, dans un lieu à la fois proche et fort méconnu, un lieu plein de paradoxes sur le difficile chemin de la construction de la nation. Le récit suit le parcours de la visite. Par les élèves de première G4, Kawtar, Aurore, Ysée, Song Mai, Paul...

Jeudi 28 novembre 2019 nous avons visité la Chapelle dite expiatoire, se situant au cœur du square Louis XVI (expier : forme de rédemption, avouer un pêché dans un but de pardon). Tout d’abord ce lieu était un cimetière paroissial : le cimetière de la Madeleine. Il se trouvait faubourg de la Ville-l’Evêque, un environnement rural qui commençait à s’urbaniser. Ce cimetière était le plus proche de la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), y étaient enterrés les guillotinés notamment ceux issus des exécutions les plus spectaculaires, comme Marie-Antoinette et Louis XVI. En raison de l’augmentation de la population parisienne au cours du XVIIIe siècle et au moment de la Révolution le cimetière déborde, les riverains se plaignent des odeurs, il ferme le 24 mars 1794. Robespierre, guillotiné 4 mois plus tard,  n’y fut donc pas enterré. 

Le dernier enterré dans ce cimetière est Jacques-René Hébert qui tenait un journal, plus radical que « L’ami du peuple » de Marat : « Le Père Duchesne ». Il fut l’un des pires accusateurs de la reine, un enragé.

Le cimetière est par la suite acheté comme bien national 4500 francs-or en 1802 par Pierre-Louis-Olivier Desclozeaux, pour agrandir son jardin. Témoin des inhumations, il matérialisa des allées et l’endroit où furent enterrés Louis XVI et Marie-Antoinette, la tête entre les jambes. Sous la 1ere Restauration, Louis XVIII, retrouva le corps de son frère et de sa belle-sœur, les fit transférer à la basilique de Saint-Denis. Il racheta à Desclozeaux le cimetière 68 100 francs-or, décida d’y faire édifier un monument commémoratif. Il fit appel à l’architecte Pierre-Nicolas Fontaine, qui avait travaillé pour Napoléon Bonaparte et en fit son architecte officiel. Tous les ossements sont prélevés pour permettre la réalisation du monument achevé en 1826, Louis XVIII mort, c’est donc son frère Charles X qui l’inaugura.

On a pu observer que le monument est caractérisé par une architecture néoclassique, s’inspirant du style antique : forme d’un temple, portique, dômes, l’entrée fait penser à celle d’un mausolée... mais l’architecte a composé une œuvre singulière. Le guide nous a expliqué que les 18 tombes du jardin intérieur, étaient vides, ce sont des cénotaphes : monuments funéraires vides, à portée symbolique pour rappeler l’ancienne fonction du lieu.

 Les tombes ne sont pas nommées, le fronton ne porte aucune inscription, des espaces sont laissés vides. Car, contrairement au projet de l’architecte, Louis XVIII a refusé tout hommage aux guillotinés. Parmi eux, il y avait des députés qui ont voté la mort du roi, son frère !

Le cimetière ayant été une fosse commune, la distinction des corps était quasiment impossible. Louis XVIII et Marie-Thérèse (seule enfant survivant du couple royal) ne voulaient rendre hommage qu’à leurs parents et payèrent le monument sur leurs deniers. Les tombes vides pourraient, selon certains, symboliser la garde suisse qui a défendu le roi, lors de la prise des Tuileries le 10 août 1792.

 À l’intérieur de la chapelle se trouvent deux statues inspirées du mouvement romantique. Ces statues représentent Marie-Antoinette et Louis XVI, comme des souverains déchus, à genoux. Le courant romantique a la volonté de mettre en valeur la détresse et la douleur. La reine n’est pas coiffée, c’est sa seule représentation décoiffée, comme si c'était une religieuse voire une Sainte. Celle-ci incarne la déchéance de la reine mal-aimée. L’installation de ces statues par la duchesse d’Angoulême, Marie-Thérèse, montre que le culte rendu à la mémoire du couple royal est bien privé, il ne relève pas de la nation.

On trouve une représentation gravée du testament de Louis XVI, écrit pendant son procès. C’est un testament politique, il parle à ses concitoyens, approuve la monarchie constitutionnelle mais revendique la part de pouvoir qui lui a été confisqué. Ce testament contient un passage, qui prend la tournure d’une lettre d’adieux adressé à son fils, alors tout juste âgé de 8 ans et qui ne survivra pas. Une scène représente la translation des ossements royaux à Saint-Denis le 21 janvier 1815, 22 ans jour pour jour après l’exécution du roi.

Arrivé au pouvoir en 1830, Louis-Philippe qui état favorable à la Constitution, prend juste l’initiative de remplacer les fleurs de lys (symbole de la monarchie) sous la coupole par le drapeau bleu blanc rouge, symbole de la Révolution, le choix du drapeau marqua toute l’histoire des hésitations politiques du XIXe siècle.

Dans la crypte, l’autel en marbre noir en forme de tombeau marque l’endroit exact où le corps de Louis XVI a été retrouvé. Tout le monument est centré autour de cet autel (force du symbole).

Avec les transformations de Paris à la fin du XIXe, la chapelle fut agrémentée d’un square qui s’insère dans le tissu urbain haussmannien rectiligne. La chapelle est d’ailleurs désaxée par rapport aux immeubles qui l’entourent et prend place dans le rectangle du square, elle perdit ses allées de cyprès. En 1871, la Commune voulut détruire la chapelle, considérant que l’un des principaux buts de celle-ci était d’expier la Révolution, un arrêté est pris, mais n’ayant duré que 3 mois, la démolition n’a jamais été opérée. On note tout de même 22 tentatives de destruction avant que celle-ci ne soit classée monument historique, peu de temps avant la Première Guerre mondiale !

Enfin, jusqu'au début du XXIème siècle, on pensait que les ossements des autres enterrés étaient aux catacombes de Paris, enfermés dans des malles funéraires (une plaque disait que les morts du cimetière de la Madeleine gisaient en ce lieu, on confondit deux cimetières du quartier). Cette confusion a été corrigée quand on fit percer des trous dans les murs de la crypte et fit passer des caméras, les ossements des 600 guillotinés y sont bien insérés !

La présence des ossements des guillotinés (Olympe de Gouges, Manon Roland, Jacques Brissot, Jacques-René Hébert…) provoque une contradiction. Cela pourrait rendre hommage aux révolutionnaires, alors qu’à l'origine il s’agissait d’un lieu de commémoration pour les royalistes, mais cette double mémoire est aujourd’hui bien présente dans l’édifice et expliquée jusque dans les galeries latérales avec le portrait de révolutionnaires qui y reposent.

Une messe à la Chapelle expiatoire Lancelot-Théodore Turpin de Crissé, Une messe à la Chapelle expiatoire, 1835, musée Carnavalet.