Jean Baptiste Para

Rencontres poétiques au lycée Racine : Ecrire, c'est déjà traduire (1)

Dans un échange vif et passionnant, les deux auteurs et traducteurs de poésie ont longuement détaillé à nos élèves leurs pratiques d'écriture.

Jean-Baptiste Para est parti de l’étrangeté du poème, qui paraît rebutante, voire folle au premier abord, à celui qui n’en lit pas ou qui n’a pas l’habitude d’en lire, mais qui se révèle accueillante si on sait l’apprivoiser.

Pour lui, le poème ne tient aucun discours : il propose une expérience. Le poème serait en quête de notre vraie humanité, celle qui est commune à tous les hommes, ainsi que de notre vraie identité, complexe, faite de plusieurs temporalités superposées, entremêlées, coexistantes même dans leur éventuelle contradiction.

Il oppose le "présentisme", le culte de l’immédiateté et de l’instant présent, et la temporalité du poème qui permet à l’homme de se percevoir dans une continuité ouverte.

Avec l’image d’une fresque, partiellement détruite, devenue survivante et témoin d’un tout perdu qu’on peut deviner seulement, le poème serait le résidu d’une expérience, éphémère comme nous, et dont toute une partie est appelée à rester secrète.

Le poème, enfin, comme les tapis persans, est toujours imparfait, inachevé de façon à manifester l’infini. Mais l’humilité de cet imparfait est un gage d’ouverture préservée.

Depuis des années, Jean-Baptiste Para intervient au sein d’une association par des ateliers de lecture au sein des prisons, partout en France. « Un poème ne juge pas », dit-il. Mieux, un poème peut aider fraternellement à porter une partie de soi qui resterait autrement difficile à porter : en rouvrant un avenir, en restaurant un rapport plus apaisé au passé, en permettant de s’orienter dans un temps « entier » non réduit à la tyrannie du présent carcéral.

Il parle de ces femmes, mortes de honte au départ et regardant leurs pieds sans oser lever le regard jusqu’à leur visiteur, et tout à coup réconfortées à l’idée qu’« Apollinaire, un grand poète » avait écrit des poèmes en prison, prouvant ainsi que même leur réalité pouvait passer en mots. Qu’elles n’étaient pas étrangères à l’humanité.

Pour Jan Myskjin, qui s'est dit ravi que des personnes aient pris le temps de lui poser des questions qu'il ne se pose pas d'ordinaire, la traduction est devenue une sorte de nécessité destinée à vérifier et à mettre à l’épreuve l’écriture – même de ses propres textes, et même pour un texte en cours d’élaboration. Il a expliqué travailler sur deux colonnes et avancer le poème d’un côté en néerlandais, tout en traduisant à mesure, de l’autre, en français – quitte à modifier ensuite l’original si la traduction révélait un problème jusque là pas repéré dans la langue d’origine : la traduction comme révélateur des éventuelles faiblesses du poème, en quelque sorte.

Son point de vue est évidemment celui d’un citoyen belge quasi trilingue, qui passe aisément d’une langue à l’autre.

Il a par ailleurs insisté sur la nécessité en poésie d’une forme et de contraintes servant d’échafaudage au texte. Il s’est même défini à un moment comme « un formaliste », passionné par les avant-gardes du XXème siècle et pas insensible à la littérature sous contrainte pratiquée par l’Oulipo.

Il a également longuement parlé de la condition de traducteur « libre », choisissant de traduire uniquement ce qu’il a envie de traduire, dans l’optique de « faire toujours du nouveau » (citation d’Ezra Pound), se définissant ainsi lui-
même, tant du point de vue de sa pratique de traducteur professionnel que comme poète, en « franc-tireur ».