Marion Graf

Rencontres poétiques au lycée Racine : Ecrire, c'est déjà traduire (2)

Dans la classe de seconde, un feu roulant de questions s’enchaînant souplement, avec logique, a permis d’aborder les aspects les plus variés de l’activité éditoriale, de l’écriture ou de la traduction. Avec des groupes plus réservés, réfléchis, ou attentifs et concentrés, l’échange a permis des rapprochements avec la musique et une comparaison entre lecture d’un texte, commentaire, traduction et transcription ou interprétation.

Laurence Breysse-Chanet Pour Laurence Breysse-Chanet, la traduction est cette activité « qui va prendre les poèmes dans leur langue d’origine pour les faire siens », mais la traduction va aussi chercher l’autre et ne constitue pas une pure et simple appropriation. « Mon rapport au poème correspond à une sortie de soi-même », il s’agit « d’abandonner son univers et de déporter sa voix vers l’autre » pour faire entendre la voix de ce dernier.

Et pour souligner l’importance de la matérialité vivante de celui qui écrit, elle décrit par exemple très précisément la démarche d’un poète qu’elle a rencontré et qu’elle voit s’éloigner dans la rue, d’un pas hésitant : « Il y avait du rythme dans son pas ». Comme si poésie et vie se trouvaient, dans ce pas, inextricablement mêlées et d’accord, en harmonie. Comme si la marche du corps épousait celle du vers et de la voix.

 

« Traduire, c’est être entre les langues », être attentif ou attentive à leurs moindres inflexions. Marion Graf raconte avec humour ces moments de son enfance dans un village près de Carcassonne où des expressions propres au français de Suisse lui attiraient la remarque : « On comprend pas toujours ce qu’elle dit, elle parle suisse » !

Les idiomatismes réputés intraduisibles et les jeux de mots fournissent au traducteur l’occasion de déplacer le problème vers un autre endroit du texte (afin de lui créer des échos de substitution) ou de répondre à l’intention du texte par d’autres moyens que ceux du texte original. Ils changent ainsi un martin-pêcheur en boule-de-neige...

À la question : écrivez-vous ? elle répond que chaque traduction ouvre pour elle une nouvelle fenêtre. « Je ne me supporterais pas, dit-elle, moi-même comme écrivain, à la même fenêtre, regardant toujours le monde depuis le même point de vue ».

« Considérez-vous les traducteurs comme des artistes ? », lui demandent les secondes. Oui, répond-elle, dans la mesure où, « comme un comédien, on incarne quelqu’un, mais on n’est pas des mirlitons ».

À la question traditionnelle : « Estimez-vous que le traducteur soit forcément un traître (le fameux dicton italien : Traduttore, traditore...) ? », elle répond simplement que traduire, en fait, c’est traduire « d’humain à humain ».

Ce qu’il s’agit de traduire ne relève pas des mots ou de la syntaxe ou d’une transposition technique (qu’une intelligence artificielle est capable d'effectuer). Il s’agit de transmettre une part impondérable, une émotion, et de la mettre suffisamment à distance en même temps pour qu’on puisse la partager, d’une langue à une autre, avec un lecteur.

Marion Graf- Le courrier

Photos Laurence Breysse-Chanet : CRIMIC/ Marion Graf : Le Courrier ; NR