Les sources des pratiques pédagogiques
Les sources des pratiques pédagogiques sont multiples, chacune revêtant une importance différente.
La première de ces sources est constituée par la formation initiale. On peut s’interroger sur l’avenir de celle-ci mais il n’est pas douteux que les pratiques constatées témoignent des apports initiaux, de leurs qualités comme de leurs défauts. En effet, des écarts parfois considérables sont constatés selon les différentes disciplines. La pédagogie maternelle est par exemple peu enseignée en formation initiale et n’est plus désormais qu’une option des masters après n’avoir plus constitué qu’un module de huit jours à l’IUFM. Cela pose la question des missions dévolues à l’école, notamment en maternelle qui avait des orientations et n’a connu ses premiers programmes qu’en 2008. De même dans la façon d’enseigner les sciences, l’histoire, la géographie, des différences considérables sont constatées. Dans le même sens, l’irruption de l’enseignement de l’histoire des arts montre des situations très hétérogènes. En ces termes, le passage de « l’École Normale » à « l’IUFM » puis à la masterisation ne semble pas changer grand chose.
Les situations varient selon les maîtres qui s’emparent, ou non, des offres de stage. Ainsi peut on constater que nombre d’enseignants n’utilisent pas entièrement leurs crédits individuels formation qui sont souvent perçus comme réservés à la préparation de changements radicaux d’orientation professionnelle. Au demeurant, les stages, les animations et formations pédagogiques, proposés au niveau des circonscriptions pour impacter les pratiques, sont eux-mêmes peu évalués. Cela ne permet pas réellement de questionner le système et d’aucuns relèvent qu’ils sont parfois peu propices à remettre en cause l’équilibre (et le confort) des fonctionnements personnels ancrés dans une pratique longue.
La multiplication des modalités aménagées de mise en œuvre du temps de travail (50% ou 75% de plus en plus fréquents) pose, dans le même sens, la question du temps de restitution et de mise en partage en équipe des acquis réalisés pendant un stage individuel. Les « stages écoles » offrent certes des modalités différentes mais il demeure nécessaire, au niveau de chaque école, de questionner l’impact dans le temps des stages effectués.
Dans le perfectionnement recherché des pratiques on peut ensuite interroger le rôle de l’inspecteur, tant comme expert de la pédagogie que comme porteur d’un regard évaluateur. Tout dépend d’évidence de la personnalité des enseignants et de leurs réponses individuelles à la question de savoir s’ils pensent que l’intervention de l’expert déstabilise ou non leur fonctionnement professionnel et familial. Les différences, à cet égard, sont considérables entre l’enseignement public et l’enseignement privé. Dans le public, l’incidence de l’inspection est faible car elle ne représente pas un risque professionnel réel et ne transforme pas ou très marginalement les pratiques pédagogiques. Dans le privé, la pression de l’inspecteur est toujours relayée de manière injonctive par la hiérarchie de l’école afin de pouvoir continuer de bénéficier du contrat avec l’État.
L’effet modélisateur des pratiques majoritaires du groupe semble plus essentiel encore. Le plus souvent en effet, l’enseignant ne choisit pas un modèle pédagogique rationnel et raisonné, posé sur un diagnostic, mais cherche à reproduire la représentation qu’il a de ce qu’il faut faire pour adhérer au projet des autres enseignants, plus anciens dans l’école, donc perçus comme « experts locaux ». La mythologie se développe alors du « avant c’était mieux », et du « ça correspond aux besoins des élèves », alors même qu’on a la preuve ni de l’un ni de l’autre. Ces systèmes de croyances sont étanches aux avis des experts car ils sont clos.
La pédagogie magistrale.
Elle est caractérisée par la place prépondérante donnée à la parole du maître qui parfois va jusqu’à ne laisser qu’une place réduite à l’activité de l’élève. Les maîtres partent de la liste des connaissances donnée par cycle (les programmes) et établissent des progressions allant du simple au complexe. On constate alors un très fort cloisonnement disciplinaire. Dans ce type de pédagogie, la place du manuel est importante ; les tâches sont individuelles et très peu coopératives. Ce type de pédagogie présente des avantages connus : les enseignements mis en place sont progressifs, rigoureux, faciles à préparer, économiques en temps de préparation, faciles à animer (car proposés en grand groupe), faciles à évaluer. Les inconvénients, eux aussi connus, de cette pédagogie sont de ne pas prendre en compte les rythmes d’apprentissage des enfants ; d’autre part, on n’y intègre pas les différences inter - individuelles et tout le monde est traité de manière identique ; ce type de pédagogie ne donne pas de sens aux apprentissages ; plus gravement, cela ne permet pas d’accéder au sens de l’Ecole et favorise l’échec massif des élèves issus des classes les moins favorisées en les dévalorisant.
La pédagogie thématique
Elle est issue des mouvements pédagogiques (OCCE, GFEN, … ) et elle a pénétré plus tôt et plus profondément les écoles maternelles. Son approche est inter - disciplinaire. Les avantages sont, qu’entre des tâches différentes naissent des liens et que les savoirs semblent s’ordonner par thèmes. Cette pédagogie ne change pas la forme des séances, qui est identique à celle de la pédagogie magistrale.
Si elle est peu déstabilisatrice des pratiques professionnelles et donc facilement adoptée la pédagogie thématique connaît néanmoins inconvénients et limites : il y a en effet peu de coopération entre élèves et le groupe est perçu comme peu aidant. Cela donne de la cohérence mais ne légitime pas toutes les tâches or cette question, celle du « pourquoi », en Education prioritaire, est essentielle. Faute de sens, il n’y a donc pas de motivation personnelle. En outre, cette pédagogie ne développe pas la solidarité entre élèves. Au demeurant, les liens entre tâches scolaires sont souvent artificiels et ténus, donc perçus comme non indispensables par les élèves.
La pédagogie de projet
L’idée est de donner une cohérence par le thème mais aussi, et surtout, de créer des situations de classe qui légitiment l’apprentissage. Les caractéristiques de cette pédagogie sont d’avoir toujours une production finale socialisée. Cette production finale légitime l’ensemble ; elle est appropriée par les élèves au moyen d’exemples comparables et différenciés. Cette pédagogie nécessite, au préalable, de faire un inventaire exhaustif des tâches à accomplir pour parvenir à la production finale assorti, à chaque fois des compétences (« être capable de », … ) nécessaires à la réalisation de la tâche. Dès lors, cette pédagogie permet la mise en place de groupes très hétérogènes (de 4-5 élèves), formés par l’enseignant pour favoriser la coopération en faisant de chaque groupe le responsable de telles et telles tâches. L’organisation est donc contractuelle entre les élèves et l’enseignant (qui se mettent d’accord sur un plan de travail) ; la planification est co - élaborée par les élèves et le maître. In fine, la production est socialisée, c’est à dire qu’elle appartient à la sphère de l’école (parents, correspondants, …).
Fondamentalement l’élève donne une légitimité à la tâche et donc, mobilise ses capacités, ce qui est le type de pédagogie le plus efficace pour les élèves issus de l’Éducation Prioritaire. Les enfants développent des stratégies et des méthodologies de groupe. Ces groupes fortement hétérogènes permettent facilement la mise en place de tutorats naturels. Au-delà, le statut du maître change : il est l’adulte qui aide et non plus celui qui impose son savoir.
Les deux dernières démarches n’ont pas la prétention d’intégrer toutes les disciplines en même temps ; des moments identifiés « projets » ne se superposent pas aux moments strictement « disciplinaires ». C’est une forme d’adaptation de la pédagogie au public issu des classes les plus populaires.