Violences scolaires, accumulation de réformes... Beaucoup d’observateurs évoquent un « malaise enseignant ». Que vous inspire ce sentiment ?
Le malaise est quelque chose de très flou. Ce n’est pas nouveau, mais cela correspond à quelque chose de particulier selon chaque époque.
Aujourd’hui, ce serait le signe d’une transformation du système : nous passons d’un modèle bureaucratique à une nouvelle gouvernance publique, dans laquelle on demande aux enseignants de rentrer dans la culture du résultat. Cela les déstabilise beaucoup.
Quant à la violence, chaque époque a la sienne. Il n’y a ni à dramatiser ni à minimiser. De plus, il faut voir ce que le mot « violence » veut dire. Une personne pourra percevoir un événement comme violent alors qu’une autre non. Evidemment, il existe des actes très précis, mais c’est surtout une façon dont les personnes perçoivent les relations humaines difficiles.
La déconsidération du métier d’enseignant peut-elle être source de violence ?
Ce serait trop simple. Le manque de reconnaissance de leur travail par la société est une source de stress. Mais ce qui joue sur la violence, ce sont les pratiques des enseignants. Si l’on veut, dans un établissement scolaire, qu’il y ait moins de violence, cela doit passer par une approche collective du problème. Les enseignants doivent se mettre autour d’une table, chercher des solutions ensemble, avec le soutien de la hiérarchie (...). Quand les enseignants ont un sentiment d’efficacité collective, ils mettent en œuvre des stratégies de résolution des problèmes : cela a un effet positif, cela fait baisser la violence. De même, si les élèves ont de meilleurs résultats scolaires et sont valorisés dans leurs progrès, il y a une chance de se protéger contre la violence. Il faut sortir de la plainte et du malaise, la plainte ne permet pas de passer dans la stratégie de résolution des problèmes.
Sanctuariser l’école est-il une solution ?
Chaque fois que l’école a su s’ouvrir, sur le quartier, sur les partenaires extérieurs, les phénomènes de violence ont diminué. A l’inverse, quand on sanctuarise, des stratégies de violence se mettent en place. Il y a bien sûr une nécessité de surveillants et de CPE, qui représentent pour les élèves des interlocuteurs adultes à qui parler. Mais cela ne suffit pas, le problème ne vient pas que d’un manque de ces personnels. Il faut aussi des relations avec les enseignants autres que sur le temps de classe, comme du tutorat ou des activités qui ne soient pas forcément liées à leur discipline. Il est également important pour les enseignants de ne pas prendre le conflit personnellement, sinon il va s’aggraver (...).
La réforme de la formation des maîtres risque-t-elle d’accroître la violence à l’école ?
Pas la mastérisation en elle-même. On se dirige vers une formation disciplinaire -au sens de la discipline enseignée- et il faut faire très attention à ne pas oublier la formation sur le développement des compétences psychosociales. Quand une école reçoit des élèves en difficulté, ceux-ci ont besoin d’être aidés et l’enseignant doit trouver la bonne distance. Si la formation psychosociale est très faible, des professeurs risquent de développer des stratégies de défense et de survie. On remarque d’ailleurs chez les débutants, dans le premier degré, le développement d’une pratique traditionnelle de l’enseignement (punition, pratique routinière), ce qui est une stratégie de survie.
La Lettre de l’éducation, n° 661, 22 mars 2010 (extraits)