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Ressource : Exploitation pédagogique d'un voyage scolaire au site-mémorial du camp des Milles

Camp des milles Le camp des Milles est un site-mémorial conçu, principalement pour les jeunes, non seulement comme un musée d'histoire et un lieu de mémoire préservé, mais aussi comme un espace de culture patrimoniale et artistique et comme un "musée d'idées", un laboratoire innovant dans son contenu comme dans ses dispositifs pédagogiques.

Dans un ouvrage publié aux Etats-Unis en 1942 intitulé  Le diable en France, Lion Feuchtwanger,  intellectuel juif allemand, opposant au nazisme réfugié dans le Sud de la France à Sanary décrit sa captivité au camp des Milles en 1940.

 A l’âge de 56 ans, son récit autobiographique raconte l’enfer qui débuta avec son internement aux Milles, dans le pays des droits de l’Homme qui lui avait octroyé l’asile politique: « chez nous, en Allemagne, quand quelqu’un vivait confortablement, on disait qu’il vivait comme « Dieu en France ». Cette expression signifiait probablement que Dieu se sentait bien en France, qu’on y vivait librement et qu’on y laissait vivre les autres, que l’existence était facile et confortable. Mais si Dieu se sentait bien en France, on pouvait dire également, précisément en vertu de cette conception du monde assez insouciante, que le diable n’y vivait pas mal non plus…Je ne crois pas que le diable auquel nous avons eu affaire en France en 1940 ait été un diable particulièrement pervers qui aurait pris un plaisir à nous persécuter. Je crois plutôt que c’était le diable de la négligence, de l’inadvertance, du manque de générosité, du conformisme, de l’esprit de routine, c’est-à-dire ce diable que les Français appellent le je-m’en-foutisme. »

 I-Le camp des Milles

Le camp est situé dans les Bouches du Rhône à quelques kilomètres d’Aix en Provence, dans une ancienne tuilerie désaffectée qui devint de 1939 à 1942 un camp d'internement puis de déportation français.

 L'histoire du camp a connu trois périodes :

  • De septembre 1939 à juin 1940, du début de la guerre et jusque l'armistice, le camp des Milles a été un camp d'internement pour « sujets ennemis de la troisième République ». Lion Feuchtwanger précise : « les mesures d’internement ne se limitaient pas aux Allemands, aux Autrichiens et aux Tchèques, comme le préconisait le décret ; il y avait parmi nous également des Luxembourgeois, des Hollandais, des Belges et des Scandinaves…Plus d’une douzaine de détenus avaient été décorés par la France, et l’on comptait dans nos rangs plusieurs chevaliers de la Légion d’honneur. » De nombreux intellectuels et artistes comme Max Ernst, l’un des fondateurs du surréalisme firent de leur prison un véritable atelier.
  • De l’armistice de juin 1940 à juillet 1942, le camp devint lieu d'internement des « indésirables » de Vichy, en transit aux Milles, avant de partir pour l'étranger. À partir de juillet, sous le régime de Vichy, le camp est rapidement surpeuplé (3 500 internés à la fois en juin 1940). Au cours de cette période furent transférés aux Milles notamment les étrangers des camps du     Sud-Ouest, et en particulier des anciens des Brigades internationales d'Espagne ainsi que des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade. À partir de novembre 1940, le camp, passé sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur, devint le seul camp de transit en France pour une émigration Outre-Mer, transit régulier ou illégal avec l'aide de particuliers, d'organisations ou de filières locales et internationales.
  • De juillet 1942 à septembre 1942, le camp des Milles devint l'antichambre du centre de mise à mort d'Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes : il servit de camp de transit pour la déportation de plus de 2 000 Juifs, hommes, femmes et enfants juifs de zone non occupée livrés par Vichy aux Allemands. Au début  du mois de juillet 1942, Laval propose d'inclure les enfants âgés de moins de seize ans dans les déportations. Le 3 août, le camp est bouclé. Femmes et enfants juifs de la région sont orientés vers les Milles pour rejoindre les autres internés avant d'être déportés. Ne sont pas épargnés les Juifs réfugiés politiques ou étrangers ayant servi dans l'armée française. Et une centaine d'enfants sont ainsi déportés à partir de l'âge d'un an. Au total, cinq convois sont constitués. En réaction, des hommes et femmes courageux aident les internés et les déportés.

Ces événements surviennent avant même l'occupation allemande de la zone Sud (11 novembre 1942). Au-delà du mois de septembre 1942, le camp, demeurant un centre de transit, vivote : ses derniers occupants, très peu nombreux, quittent ses murs de briques en décembre 1942.

La Fondation du camp des Milles-Mémoire et Éducation

La fondation du camp des Milles-Mémoire et Éducation est un établissement sans but lucratif, reconnu d'utilité publique par décret du Premier ministre en date du 25 février 2009.

Présidée par M. Alain Chouraqui (Directeur émérite de Recherche au CNRS), elle est dirigée par un large Conseil d'administration qui représente la diversité de ses partenaires publics (État et collectivités territoriales), privés et associatifs, ainsi que des personnalités qualifiées.

Elle avait pour mission d'aménager les espaces et bâtiments de l'ancienne tuilerie des Milles devenue entre 1939 et 1942 camp d'internement et de déportation, pour en faire un haut-lieu de Mémoire et d'Histoire au service de l'Éducation citoyenne et de la culture.

Elle est aujourd’hui en charge de la gestion et du développement du site-mémorial du camp des Milles, ainsi que des activités d'accueil des publics, de formation, de culture, de recherche et de coopération internationale.

Le site-mémorial du camp des Milles a signé un partenariat avec la SNCF : les classes s’y rendant bénéficient de la gratuité du train.

II - Le parcours de visite :

La visite du camp des Milles se déroule en trois temps :

Pour commencer, un premier espace muséographique permet de contextualiser la naissance du camp et son évolution jusque 1942 en replaçant son histoire dans celle plus large de la France et l'Europe en guerre.

Un deuxième temps est consacré à la visite des lieux d'internement.

Un troisième temps de visite est consacré à des ateliers de réflexion à partir d'une vidéo et de divers documents : il s'agit de s'interroger sur les mécanismes des génocides (à partir des exemples du génocide arménien, de la Shoah et du génocide rwandais) et de comprendre l'engrenage des extrémismes, des racismes et de l'antisémitisme pour mieux le contrer.

La Chancellerie des universités de Paris décerne chaque année depuis 2003 le prix Seligmann contre le racisme, l’injustice et l’intolérance qui « a pour vocation de récompenser annuellement une création écrite, d’expression française, apportant une pierre solide à la lutte contre le racisme ». En 2017, pour la 13e édition, le jury a récompensé Alain Chouraqui pour son ouvrage intitulé Pour résister. À l’engrenage des extrémismes, des racismes et de l’antisémitisme paru aux éditions du Cherche Midi.

L'ouvrage reprend les idées présentées dans la troisième partie réflexive du musée en vue d'analyser les mécanismes qui conduisent aux génocides.

 Pour les scolaires, des ateliers pédagogiques proposés sont encadrés par des guides du musée. Par exemple, un atelier intitulé « Créer pour résister » se penche sur la création artistique des nombreux artistes (Ernst, Bellmer, Springer...) qui ont été internés aux Milles et ont continué à créer pour exorciser leurs sentiments profonds, tout en laissant une trace de leur passage.

 

III - Deux exemples d'exploitation pédagogique de la visite du camp des Milles en classe de troisième et de première L :

Place dans les programmes :

La visite du camp des Milles s'inscrit parfaitement dans le cadre des programmes d'histoire de troisième et de première ES/ L et S.

Troisième :

Thème « L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) », questions « La Deuxième Guerre mondiale, une guerre d'anéantissement » et « La France défaite et occupée. Régime de Vichy, collaboration, Résistance »

Première ES/L:

Thème 2 « la guerre au XXème siècle » question 1 « Guerres mondiales et espoirs de paix », mise en œuvre «   La Seconde Guerre mondiale : guerre d’anéantissement et génocide des Juifs et des Tziganes » 

Thème 5 « Les Français et la République », question « La République, trois républiques », mise en œuvre  « Les combats de la Résistance contre l’occupant nazi et le régime de Vichy et la refondation républicaine. »

Première S :

Thème 2 « La guerre et les régimes totalitaires », question «  La Seconde Guerre mondiale »

Réalisation d'un abécédaire en classe de troisième :

Suite à la visite réalisée au camp des Milles en octobre 2017 avec une classe de troisième, Monique Epelbaum, professeur d’histoire-géographie a initié un projet pédagogique artistique et mémoriel. Il s'agissait de réaliser un compte-rendu de visite sous forme d'abécédaire.

Les élèves avaient la possibilité de travailler individuellement ou collectivement (par petit groupe de deux ou trois).

Une lettre de l’alphabet était attribuée à chaque élève ou mini groupe. A chaque lettre devait correspondre un mot choisi par l’élève, en rapport avec la visite. Une définition ou une explication devait être donnée pour le mot choisi. Il s’agissait ensuite de rédiger un texte court et de l’illustrer librement. Une fois réalisé, cet abécédaire a été présenté aux autres classes sur les panneaux d'exposition du CDI.

Lettre C comme « Communauté » Clémence B et Léa C, 3ème 4

 LETTRE C

Lettre D comme « Discrimination » Basile V. 3ème 4

 lettre D

 

Réalisation d'un carnet de voyage par la classe de première L option histoire des arts :

En octobre 2018, la classe de première Littéraire option histoire des arts du lycée Jules Ferry a visité le camp des Milles et en a fait un des supports de sa participation au Concours National de la Résistance et de la Déportation dont elle a remporté le deuxième prix de l'épreuve collective lycée.

La préparation du concours national de la Résistance et de la Déportation 2017-2018 sur le thème « s'engager pour libérer la France » a donné lieu à une démarche pédagogique étalée de septembre à mars et transversale aux programmes d'histoire, de lettres et d'histoire des arts.

Elèves et professeurs de lettres, d'histoire et d'histoire des arts ont vécu plusieurs temps forts- dont la visite du camp des Milles- qui visaient à répondre aux questions qu'ils s'étaient posées en découvrant le sujet :

    • Contre quoi des hommes et des femmes se sont-ils engagés ?
    • Qui s'est engagé ?
    • Comment s'est-on engagé ?
    • A quel résultat a abouti cet engagement ?
    • Quelle est la mémoire de cet engagement aujourd'hui et quel impact a-t-elle sur les jeunes générations ?

L'année a été jalonnée de visites, rencontres, témoignages, conférences donnant lieu à un compte-rendu sous forme de journal de voyage. Celui-ci a pris la forme d'un carnet revenant sur la chronologie des visites, actions et travaux réalisés au cours d'un véritable « voyage mémoriel » qui a uni les élèves dans une même démarche civique, artistique et fraternelle.

 

Couverture du carnet réalisé par les élèves du lycée Jules Ferry

 couverture

La Visite du camp des Milles, le 12 octobre 2017 inaugurait la démarche pédagogique et le carnet en permettant la prise de conscience de « ce contre quoi » il avait fallu s'engager pendant la guerre : l'enfermement, la discrimination, l'antisémitisme et même la négation de l'Homme. La visite du lieu « mémoriel » rendait très concrètes les terribles conditions de détention des internés qui furent parfois aidés par l'engagement de personnes extérieures au camp pour s'enfuir. Mais le camp des Milles fut aussi une véritable « prison-atelier » pour des artistes. La rencontre avec les vestiges de cette création artistique foisonnante a permis aux élèves de comprendre que l'art fut un moyen de s'engager et de survivre en résistant à la déshumanisation programmée.

Sur place, il était demandé aux élèves de prendre des notes, de photographier, de dessiner. Au retour au lycée, dans un premier temps un travail de compte-rendu épistolaire a été demandé. Il s'agissait de l'écriture d'une lettre à destinataire réel ou fictif, décrivant l'histoire du camp et surtout l'impression ressentie lors de la visite de ce camp.

Dans un second temps, le carnet de voyage a été réalisé avec les photos, notes, dessins et travaux d'élèves.

Quelques pages du carnet concernant le camp des Milles :

L'arrivée à Aix et la découverte de la Tuilerie des Milles

Couv2

La description du camp

Couv3

 

 

Compte-rendu épistolaire : copie de Justine M. 1L1

 Couv4

 Couv5

 

 Couv6

 Couv7

 Bilan de la visite, apport pédagogique et humain :

Le voyage scolaire au camp des Milles a été une expérience très forte qui, à n'en pas douter, restera gravée dans la mémoire des élèves et pas seulement en raison des liens d'amitié qu'ils ont pu tisser au cours de cette journée comme ils auraient pu le faire à l'occasion de n'importe quelle sortie scolaire. Cette visite leur a offert de « vivre » collectivement une leçon d'histoire et de civisme. En effet, les élèves ont été confrontés ensemble à la réalité de l'internement et aux formes de l’engagement. Observant leur attitude grave et réfléchie durant la visite, un des professeurs a fait remarquer « qu'ils étaient en train de grandir ». En réfléchissant dans la dernière partie du musée à l'engrenage des extrémismes, des racismes et de l'antisémitisme hier et aujourd'hui, ils ont aiguisé leur conscience civique. Cette visite qui faisait écho au travail réalisé avec les professeurs en classe, permettait de faire cours d'histoire et d'Education Morale et Civique d'une autre manière, plus incarnée et assurément très efficace ! Au retour, l'exposition de l'abécédaire au CDI a permis de faire écho auprès de l'ensemble des élèves de l'établissement de ce voyage mémoriel réalisé aux Milles.

 Ressources

 Les Milles, le train de la Liberté, film français réalisé par Sébastien Grall en 1995

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Le diable en France, Lion Feuchtwanger, 1942 pour la première édition, réédité par Le livre de poche en 2012

Pour résister… à l’engrenage des extrémismes, des racismes et de l’antisémitisme  Alain Chouraqui dir., Prologue Simone Veil, Préface Jean-Paul de Gaudemar, Cherche-Midi éditeur, 2015,  Prix Seligmann de la Chancellerie des Universités contre le racisme, l’injustice et l’intolérance.

Petit manuel de survie démocratique (coll, Fondation du Camp des Milles, 2016, 40p)

 

Sitographie

Site du mémorial du camp des Milles 

Site du mémorial de la Shoah

Site mémoires des déportations

Site de la fondation Seligmann

Prix Annie et Charles Corrin

Site officiel du concours national de la Résistance et de la Déportation

Cérémonie de remise des prix aux lauréats 2018 de l’académie de Paris

Circulaire académique du CNRD 2019