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"Tu respires le même air que moi"

Un projet de l’atelier scientifique du collège Georges Rouault1, à Paris (19e), soutenu par la Fondation Seligmann

À en croire le phénomène porté par Greta Thunberg et la mobilisation massive de collégiens, lycéens et étudiants tout au long de l’année 2019, les jeunes ont une conscience aiguë des défis écologiques. Ils sont même à la pointe d’un combat où les États occidentaux, aux intérêts souvent contradictoires, avancent encore trop lentement face aux périls annoncés par les scientifiques. Pour autant, tous les jeunes se sentent-ils également concernés par l’avenir de la planète, quels que soient leur âge et leur milieu social ? Si les élèves de l’atelier scientifique du collège Georges Rouault, classé en REP+ à Paris (19e), ne semblent pas avoir entendu parler des manifestations pour le climat, ils s’impliquent toutefois avec enthousiasme dans le projet « Tu respires le même air que moi », porté par le professeur de SVT Jérémie Pelé, avec le soutien de la Fondation Seligmann. Construit entre 1954 et 1973, à l’époque de la voiture reine, le « périph’ » est aujourd’hui emprunté par 1,2 millions de véhicules par jour... représentant le quart des déplacements à Paris. Situé à proximité, le collège Georges Rouault était donc tout trouvé pour sensibiliser des jeunes aux enjeux de la qualité de l’air. Et l’atelier scientifique du collège, « pôle d’excellence » de l’établissement mélangeant des élèves de la 6e à la 3e et issus de classe d’UPE2A2, un lieu particulièrement indiqué pour mener à bien un projet qui consistera à réaliser des mesures de la qualité de l’air de la cour de l’établissement.

Ce projet, auquel participent 23 élèves, en plus ou moins grande facilité avec les exigences scolaires, s’inscrit dans le dispositif académique Scol’air.

Une première étape a permis à Jérémie Pelé et à son collègue Ibrahim Diallo, professeur de technologie, de proposer un problème scientifique, qui a donné lieu à la formulation d’hypothèses par les élèves. Une seconde étape, fondamentale, permettra l’identification des sondes à intégrer au dispositif, puis la récupération de la grande quantité de données mesurées pour les analyser et vérifier ainsi les hypothèses. La question de la communication de ces données se posera ensuite : les rendre compréhensibles sera l’un des défis à relever avant de les partager avec d’autres établissements scolaires et avec les autorités. Lorsqu’Après-demain est allé à la rencontre de l’atelier scientifique, un mardi de décembre 2019, le projet en était encore à ses balbutiements. Le matériel n’avait pas encore été installé et attendait dans la salle de classe, afin que chacune et chacun ait le temps de prendre conscience du processus scientifique à mener. Le travail préparatoire avait toutefois déjà commencé, si bien que quelques notions commençaient à être appréhendées, avec une fortune diverse selon l’âge et le niveau scolaire. Mais permettre à tous de progresser ensemble, et aux plus petits de s’appuyer sur les plus grands, fait aussi partie de la méthode de l’atelier scientifique du collège Rouault.

Au début de la mise en œuvre du projet, les élèves avaient déjà compris l’enjeu environnemental et de santé publique. « Ce sont nos vies qui ont besoin d’oxygène », affirme Angelina, l’une des plus âgées du groupe, avant de préciser que la pollution comporte « des risques pour la santé : les maladies cardiovasculaires, les risques cardiorespiratoires, l’asthme, les allergies. »

Elle et ses camarades commencent à percevoir que la question environnementale est également un enjeu d’inégalités géographiques. Assia,  classe de 6e, se rend compte que lorsqu’elle passe sous le périphérique pour se rendre à l’école, « ce n’est pas agréable de respirer ». Tim-Jabir, en 4e, se rappelant le voyage de l'atelier scientifique à Belle-Île, en 2017, fait valoir qu'"à côté de la mer, l'air est plus respirable" et pointe le fait que sur le périphérique, 'il y a beaucoup de transports". C'est qu'il a parfaitement identifié que, parmi d'autres sources de pollution telles que les "usines", citées par Wassila, les voitures sont une cause importante de la dégradation de la qualité de l'air et que leurs rejets sont néfastes pour l'organisme. Elisabeth explique même pourquoi : "lorsqu'on met de l'essence dans une voiture, tout ne brûle pas forcément : il reste des particules fines".

Aussi, avant même d’avoir mené le projet à bien, les élèves de l’atelier scientifique semblent s’accorder sur l’opportunité de réduire la pollution automobile. Doudou note même qu’une solutionpourrait être de « transformer les voitures à essence en voitures électriques... » avant de préciser « mais ça prendrait du temps ». La question n’est malheureusement pas si simple et M. Pelé rappelle que ce qui réduit une forme de pollution peut aussi en causer une autre, en s’appuyant sur l’exemple des trottinettes électriques, déjà évoqué en classe. Quelques idées sont lancées néanmoins : Assia propose de diminuer le prix des voitures électriques, Angelina d’augmenter celui des voitures à essence. Et face à l’incompréhension de certains, Maxime résume : « si on augmente le prix des voitures qui polluent et qu’on baisse celui des voitures qui ne polluent pas, ça va dissuader d’acheter les voitures qui polluent ». S’ensuit un long échange pour tenter de définir le "dissuader", qui en a laissé plus d'un dans l’expectative. Ça tombe bien : améliorer la maîtrise du français est l’une des dimensions du projet.

Car comme toutes les initiatives de l'atelier scientifique, « Tu respires le même air que moi » est véritablement un projet à tiroirs. En plus de sa thématique immédiate – l’environnement – l’initiative poursuit d'autres objectifs : familiariser les élèves à la démarche scientifique, renforcer leur capacité à communiquer à l'oral et à l'écrit... et créer des liens par-delà les âges et les milieux d'origine. Le voyage prévu à la fin d'année, qui permettra de comparer les résultats recueillis à paris - mais dont la destination restera une surprise jusqu'au bout - sera assurément une bonne manière de consolider l'esprit de groupe.

1. Labellisé E3D (Etablissement en démarche de dévelippement durable) niveau "approfondissement", le collège Georges Rouault vise cette année le niveau le plus élevé avec le déploiement du projet "Tu respires le même air que moi"

2. Unité pédagogique pour élève allophone arrivant.

 

Article écrit par .. publié dans la revue Après-demain n°53 : l'écologie à l'épreuve de la confiance publié en mars 2020. Reproduit avec leur aimable autorisarion.